Voici le début de quelque chose que j’aimerais poursuivre. Je suis ouverte à toutes vos propositions les plus folles pour la suite des aventures de Vanessa. N’hésitez pas à faire part de vos idées!
– CHAPITRE 1 –
– » Marquise, d’amour vos beaux yeux mourir me font »
C’est sur cette fantaisie d’un autre temps que Vanessa ferma son ouvrage avant d’atterrir au milieu des collines, un soir de septembre.
Les tumultes de sa vie sentimentale l’avait menée à quitter sa vie citadine précipitamment. Les monts du lyonnais, en cet été mourant et lumineux, l’accueillaient avec une douceur presque maternelle.
Vanessa était aussi sensible à la beauté du paysage doré sur lequel elle venait de se poser qu’au génie de Molière. Fine, fantaisiste, sensible et cultivée, Vanessa n’avait de vulgaire que son prénom, choisi par son père en hommage à une starlette provocante et certainement plus dénudée que talentueuse, qui avait dû hanter son imagination de jeune homme.
Il était environ sept heures du soir quand elle posa le pied sur l’herbe douce. Il lui fallait trouver à se loger pour la nuit mais l’or qui tombait du ciel l’invitait à flâner plutôt qu’à se préoccuper vraiment de ce type de considérations bassement matérielles.
Loin du bruit et de l’agitation parisienne, Vanessa respirait. Enfin. Elle n’avait plus rien que son vieux Molière, car son amant, qu’elle venait de quitter, l’avait mise à la porte violemment, dans un tel excès de colère et de désespoir qu’il ne lui avait pas laissé le temps d’emporter quoi que ce soit. Elle se sentait nue, seule, mais infiniment libre, ouverte à la multitude des possibles.
Elle savourait le vent chaud, plongée dans une profonde rêverie quand elle percuta un vieil homme qui avait pris son chemin mais qui évoluait comme un drôle de pantin mécanique.
Vanessa s’excusa platement, rouge de honte. Mais l’homme était également sourd et ne comprenait absolument rien à ce que la jeune femme tentait confusément de lui dire. Elle se sentait comme une muse qui aurait raté son entrée. Quel manque d’allure, de distinction. Elle pensa aux vers de Baudelaire :
« Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;
Agile et noble, avec sa jambe de statue. »
Si elle avait été la passante du poète, il y aurait eu un texte sublime de moins dans le patrimoine littéraire.
L’homme la regardait. Fixement. Il la scrutait. Il avait les sourcils embroussaillés et, à bien y regarder, il y avait, dans ses yeux clairs, une vivacité que son corps éprouvé avait totalement perdue.
L’étrange vieillard saisit soudainement la main de Vanessa qui perçut immédiatement l’aspect romanesque de cet instant, et se décida à endosser dignement le rôle d’héroïne que la vie venait de lui donner. Elle ferma les yeux une seconde, afin de trouver la juste contenance. Quand elle les ouvrit, elle se trouvait dans une cave sombre et voutée, en pierres, typique des vieilles bâtisses des Monts du Lyonnais.
– CHAPITRE 2 –
« La voici, c’est la numéro treize! chevrota calmement le grand-père. »
Douze paires d’yeux jaunes s’illuminèrent. Quelques grattements de gorge exprimèrent vraisemblablement une profonde satisfaction.
« Bienvenue, numéro treize. Nous sommes on ne peut plus comblées de t’accueillir enfin. Nous t’avons cherchée bien longtemps. »
Vanessa était, vous vous en doutez, stupéfaite, mais bien décidée à être à la hauteur de son personnage.
« Je suis également enchantée de vous rencontrer. Pourriez-vous cependant me dire où nous sommes et qui vous êtes ? demanda-t-elle d’un ton calme. »
Elle pensait, pleine d’ironie, face ces yeux jaunes absolument hideux, aux répliques de Molière lues une heure plus tôt :
« Marquise vos beaux yeux me font mourir d’amour ».
Elle dut se pincer pour ne pas laisser échapper la phrase bien connue, dont les antiquités grinçantes qui l’entouraient se seraient très certainement piquées.
Elle écouta donc avec intérêt les explications de la plus vieille des vieilles chapeautées.
« Nous étions douze, il fallait que nous soyons treize pour que notre puissance puisse être enfin libérée. Cela fait trente années que l’homme que tu as croisé te cherche. Tu t’es enfin décidée à te montrer ! Ce n’est pas trop tôt !
-Trente années ? »
Vanessa pensa qu’elle avait justement trente ans. Comment ces veilles extravagantes auraient-elles pu avoir vent de sa naissance ? Son père était un ouvrier médiocre et alcoolique. Sa mère, elle ne s’en souvenait plus, mais on lui avait dit qu’elle était d’une vertu plus légère encore que les tenues qu’elles portaient, et que c’était beaucoup dire. Elle avait grandi quelques années avec son père avant d’être accueillie dans une maison pour enfants de la DDASS. Les souvenirs qui subsistaient de sa petite enfance se résumaient à l’odeur de l’haleine âcre de son père. Elle n’avait hérité de ses parents que la haine de l’alcool et l’idée profondément ancrée que tous les hommes la décevraient toujours. Elle avait donc quitté tous les hommes de sa vie, les laissant à leur désarroi et leur chagrin, convaincue qu’il valait mieux qu’elle parte avant qu’ils ne la rendent trop malheureuse.
« Quand tu es née, l’homme que tu as croisé est venu nous trouver. Il savait qu’était enfin arrivée sur terre la clé nécessaire à l’accomplissement de notre destin. Depuis il sillonne le monde. Il nous était formellement interdit d’utiliser nos pouvoirs pour t’amener jusqu’à nous. La rencontre devait être le fruit du hasard. C’est chose faite, mais le temps nous est compté car nous sommes bien vieilles maintenant. Au travail, petite sœur ! Tu es ici, à Montromant, pour écrire avec nous la page la plus sombre de l’histoire du monde. »
Tout ce discours lui sembla bien pompeux mais un mot retint l’attention de Vanessa et lui rappela qu’elle n’était pas plongée dans la lecture d’un mauvais conte de sorcières. Elle pensa qu’elle avait bien, elle aussi, ce qu’on pouvait appeler des pouvoirs. Elle se promenait sur un vélo qui lui permettait, en cas d’urgence, de faire Paris-Lyon en quelques minutes seulement. Et lorsqu’elle était en colère contre quelqu’un, il n’était pas rare qu’il passe un moment dans la peau d’une limace, ou d’un autre animal visqueux. Tout cela n’était jamais vraiment volontaire, et elle se trouvait toujours dans un tel état de confusion que cela la faisait douter systématiquement de la réalité de ces phénomènes étranges.
Quoiqu’il en soit, elle n’avait pas du tout l’intention de s’associer à quelque vieille sorcière que ce soit, encore moins pour semer le désordre et le malheur. Elle avait assez à faire avec elle-même et ses tentatives infructueuses pour réussir sa vie amoureuse. Malgré la fermeté de sa position, elle devait s’avouer qu’elle n’était pas vraiment rassurée. Il lui fallait garder une contenance et trouver, sans les froisser, comment se débarrasser de cette assemblée d’extravagantes, car elles avaient l’air bien plus expérimentées qu’elle en matière d’animaux visqueux.
– CHAPITRE 3 –
» Alors, tu ne dis rien? Peut-être hésites-tu à rejoindre notre association? reprit celle qui semblait être la doyenne. Depuis que tu es entrée dans cette pièce, je sais que tu t’appelles Vanessa, que tu viens de quitter l’homme avec qui tu vivais, et que tu n’apprécies pas notre allure. Je sais encore que tu n’es pas convaincue par notre proposition. Bref, rien de ce qui te traverse l’esprit ne m’échappe. Mes yeux sont laids, certes, mais plus utiles que tes jolies agates. »
Vanessa demeura interdite, ne sachant que répondre, réalisant soudain que ses pensées ne lui appartenaient plus. Elle tenta de se défiler poliment:
» Effectivement, Mesdames, je crains de ne pouvoir honorer votre invitation. Mes pouvoirs sont absolument ridicules, et complètement incontrôlés. Si j’en crois tout ce qui s’est produit depuis quelques minutes, vous êtes infiniment plus puissantes et plus expérimentées que moi. Je ne vous serai d’aucun secours.
– Nous sommes intimement persuadées du contraire, répliqua une vieille, sèche et ridée comme une pomme flétrie. Aussi, nous ne te laissons guère le choix. Nous avons supprimé la porte de sortie de cette cave. Tu n’en sortiras qu’une fois notre œuvre achevée! »
Un immense rire de satisfaction s’éleva et résonna dans cette cave qui avait désormais des allures de tombeau. Les sorcières exprimaient ainsi leur bonheur grinçant.
L’homme aux yeux clairs avait disparu.
« Par où? » se demanda immédiatement Vanessa dont tous les réflexes s’aiguisaient devant la nécessité urgente de fuir.
Elle se ravisa devant l’œil dur de celle qui lisait en elle.
Prise au piège. Elle était prise au piège. La sensation intense de liberté éprouvée avec délice quelques moments plus tôt avait fait place à l’incrédulité, puis à l’angoisse devant ce destin qui semblait tout tracé et qui pourtant lui échappait totalement. Il ne s’agissait plus de jouer dignement à l’héroïne. Il n’y avait plus rien ni d’exaltant, ni de romanesque. La littérature lui sembla, pour la première fois, complètement vaine.
Liens vers:
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