A Maman
On est au dessert. Camille émiette sa part de gâteau sur la table et on rit ensemble de ses joues rondes et chocolatées. Elle a le visage du bonheur. Tant pis pour le nettoyage à venir. Nous partageons à quatre ce grand sourire gourmand.
Silence.
Violette prend un drôle d’air. Elle devient sérieuse, presque grave.
« Et ben, Mamie dans sa maison elle a dit merde ! »
Nous éclatons de rire.
Dans ma tête résonnent immédiatement les grands jurons de ma mère s’agaçant dans la cuisine. Maman a toujours presque tout contrôlé, sauf ces merde qui retentissent sans qu’elle n’y puisse rien.
Sans le vouloir, Violette vient de m’offrir une puissante madeleine de Proust dont le comique lui a totalement échappé.
Voilà notre petite fille de quatre ans partagée entre la conscience raisonnable que « ce n’est vraiment pas bien de dire des gros mots » et le plaisir de prononcer un mot interdit.
Ma mère, elle aussi, adore jurer. Elle dit merde avec une volupté que les petits enfants connaissent parfaitement.
Jurer est un plaisir sans âge.
Violette a fait ce premier beau cadeau à sa petite sœur. Camille ne dit que quelques mots. Mais celui qu’elle prononce le plus parfaitement, grâce aux leçons régulières de son ainée, c’est évidemment caca. Les deux sœurs se le répètent en se regardant dans les yeux et en riant si fort qu’il m’est bien difficile de faire le moindre sermon.
Je sais que bientôt Camille parlera plus précisément et qu’il y aura deux voix ensoleillées pour faire résonner dans la maison ce grand classique de l’enfance : Caca Boudin .Je sais aussi que j’essaierai de leur apprendre à ne pas le répéter en société, ni à n’importe quel moment, car le monde, aussi vulgaire soit-il, exige des enfants un langage exemplaire. Mais je sais surtout que je ne les priverai pas de la saveur du juron. D’autant que, lorsqu’il n’attaque personne, il est totalement inoffensif !
Les enfants aiment les mots, les mots nouveaux, les mots étranges. Ils aiment spontanément les découvrir, les faire sonner, les apprendre, les répéter, les partager, les échanger, les déformer. Mais surtout, passionnément, avec volupté et innocence, ils aiment les gros mots !
Je veux être assez libre pour ne pas éteindre sous une éducation étroite l’amour de mes filles pour les mots, pour tous les mots. Petits ou gros, lorsque nous les aimons, ils sont la source intarissable du bonheur d’exister.
Bravo! A propos de ces petits vocables que l’on qualifie parfois de « gros mots », je suis bien d’accord avec toi.
Je me souviens que mes enfants, petits, faisaient des concours de « vilains mots » avec une joie non dissimulée et communicative qui me retenait d’y mettre fin. C’était, dans leur bouche, comme des gourmandises un peu interdites qu’ils auraient chapardées dans un placard dont on aurait oublié de verrouiller la porte. D’ailleurs, Elise me dit un jour, après avoir bien réfléchi, : » Les gros mots, c’est pas bio! ». En effet, il ne faut pas en abuser mais, de temps en temps, un petit écart permet sans doute de gagner un peu en souplesse d’esprit!
Bisous
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Saveur de ces souvenirs que nos enfants- ceux que nous avons et ceux que nous fûmes- ont en partage! Petite, avec ma soeur, nous avions fait une liste, bien sérieusement, sur du joli papier, de tous les gros mots que nous connaissions! Quel délice! Et nous avions ensuite fait un enregistrement, tout aussi sérieux, de cette liste interdite. « Les gros mots c’est pas bio », mais qu’est ce que c’est bion!
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Mon Dieu, et tu oses me dire que tu n’es pas une bonne mère ?! 1) J’adore ce texte et je vois la scène comme si j’y étais. 2) Quelle délicatesse dans ton attention aux mots de tes filles, dans ta façon de réfléchir à la gestion des gros mots ! Cette poésie que tu entends en elles, elle est dans ton écoute de leurs mots. Moi je n’ai pas du tout cette qualité d’écoute, ni cette patience. Les gros mots (qui me viennent trop souvent dans la bouche) m’agacent dans la bouche de mes enfants.
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Tu sais Quyên, je suis une mère variable: attentive parfois, et d’autres, agacée! En ce moment c’est difficile, même pour les gros mots. C’est bien que tu me rappelles à ce texte. D’ailleurs, cela fait longtemps que je n’ai pas écrit à propos de mes filles. Il y a un instant de grâce hier, à la sortie de leur bain. Cela m’a un peu réconciliée. Je vais essayer d’en parler. Merci pour ton regard qui m’aide à retrouver la mère que je veux être.
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Tu parles bien des enfants. 🙂
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J’aime les voir, les entendre (en spectatrice pensive)…Cela ne signifie pas que je leur parle bien, malheureusement. En ce moment, je suis désastreuse. Mais cela reviendra, j’espère.
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