– CHAPITRE 5 –
Bérénice se leva en râlant. Une fois de plus, elle avait passé une nuit épouvantable. En ouvrant le frigo, sa mère lui fit remarquer son air maussade. Il y avait dans sa voix un ton de reproche qui était devenu habituel, et insupportable. Bérénice explosa :
« Oui, j’ai mal dormi ! Comment pourrais-je dormir correctement dans ce lit minuscule ? Je ne suis plus une enfant, Maman, j’ai trente ans ! Trente ans, pas huit !
– Ton lit va très bien, ma chérie, et s’il ne te convient pas, libre à toi de t’installer dans ta propre maison. Effectivement, tu as trente ans. Il est temps, plus que jamais, d’aller vivre ta vie ! »
Encore une fois, le même sermon, la même rengaine ! Comme si c’était facile ! Pas de boulot, pas d’amoureux, pas même d’amant occasionnel, à peine quelques amis virtuels… Bérénice ne voyait pas bien ni comment, ni pourquoi, elle partirait de la maison familiale. Et pourtant, quel enfer !
Ses parents refusaient d’aménager sa chambre pour l’adulte qu’elle était devenue, espérant ainsi la pousser à prendre son indépendance. Ils la houspillaient, raisonnaient, prenaient les enfants de leurs amis en exemple. Rien n’y faisait. Bérénice, leur fille unique et adorée, ne partait pas. Et ils n’en pouvaient plus.
Bérénice grommela quelque chose d’inaudible en versant ses céréales dans son bol de lait. Elle alluma son ordinateur et son cœur battit un peu plus vite lorsqu’elle vit apparaître sur la page d’accueil de Facebook un petit signal rouge. Tit – US lui avait répondu ! Cela faisait une semaine qu’elle attendait cet événement majeur. Elle était bouleversée. Elle ne vit pas dans sa réponse son manque d’empressement qui, pourtant, crevait l’écran.
« Slt, dsl pas le tps ces jrs. Cmt cava ? »
Noyée dans sa solitude, Bérénice ne vit qu’une main tendue, une occasion de s’échapper du marasme profond qu’était devenu sa vie. Elle répondit sans attendre.
« Je vais bien, je te remercie. Ma vie est si mouvementée ces temps-ci que je n’ai pas beaucoup de temps non plus. Beaucoup de travail et de soirées arrosées. Le bonheur, quoi ! Et toi ? Je crois deviner à ton pseudonyme que tu habites aux Etats-Unis ? J’imagine que tu mènes une vie exaltante…Raconte –moi ! Je t’embrasse. Bérénice »
Qu’il était facile de réinventer le réel derrière un écran d’ordinateur ! Que cela lui faisait du bien ! Et puis, si elle voulait séduire ce Tit-US du bout du monde, elle ne pouvait lui raconter le tête-à-tête avec ses parents, les nuits passées dans son lit de petite fille ni, surtout, les bruits étranges qui hantaient son sommeil depuis sa tendre enfance. Elle ne voulait pas passer pour une folle qui ne pouvait aller, à trente ans, se coucher sans crainte….
Pourtant telle était la pure et triste vérité. Bérénice n’avait jamais bien dormi. Bébé, elle se réveillait déjà en hurlant de manière si fréquente que ses parents s’épuisèrent et finirent par la laisser pleurer. Elle cessa donc, mais ne dormit pas mieux. Des sortes de chuchotements lui parvenaient. Elle avait le sentiment qu’ils montaient de la cave. Malgré de nombreuses inspections minutieuses, on ne trouva rien dans les entrailles humides de leur maison. Les médecins diagnostiquèrent des acouphènes et Bérénice dut se résoudre à vivre avec les bruits étranges qui saccageaient ses nuits. Cela lui coûta sa joie de vivre et ses compétences sociales. Petit à petit, elle s’isola complètement, sous l’œil inquiet mais impuissant de ses parents.
Ce jour-là, Bérénice était plus renfrognée encore qu’à l’ordinaire. Et pour cause, les chuchotements s’étaient faits plus intenses que jamais. Elle n’avait pas dormi un seul instant , tournant et retournant dans son lit en bois blanc.
Alors que la jeune femme aux cheveux hirsutes et au teint terne examinait avec attention le profil de ce Tit-US, elle se dit que, peut-être, il était l’heure de quitter son village natal. Montromant n’avait jamais été, pour elle, le lieu d’éclatantes aventures. Elle lâcha, sans mesurer le poids de son mensonge :
« Maman, j’ai rencontré quelqu’un, je vais vivre aux Etats-Unis. »
Sa mère laissa échapper sa tasse de café qui éclata sur le carrelage.
Liens vers:
- les chapitres 1, 2 et 3: http://wp.me/p8spnc-4f
- le chapitre 4: http://wp.me/p8spnc-5Z