Le bain des enfants

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A ma fille, ma douce Camille et son petit souffle maladroit  mais si gai sur ses deux bougies du jour. Pour tous les bains passés, et tous ceux à venir.

Le bain des enfants est une chose étonnante.

C’est après les éclats des deux sœurs qui assénaient, comme un coup de trique, leur agitation impérieuse au soir venant.

C’est après. Le petit monde se déroule dans la cuisine. Camille chantonne. L’eau qui bout et mon air affairé ouvrent les portes de son rêve. Elle peut s’absenter puisque tout est en ordre. Métamorphose des lieux. Tout s’invente dans ses yeux et cet instant flottant. L’enfant s’absorbe à sa pensée joueuse.

Comme chaque jour, la tâche familiale. Ma lassitude se panse aux  grelots adorés. Les chocs réguliers du couteau sur la planche. L’eau qui bout. Je savoure la rareté rituelle de notre tête-à-tête. Chacune côte-à-côte, nous épousons le calme comme un trésor trouvé. Les bruits se font discrets au pépiement de Camille, cette flûte de pan qui semble venir d’en haut. Chaque geste se pèse: harmonie ou chaos.

L’instant funambule s’éteint. La bougie est soufflée par le couloir qui bruit, et sa fumée se goûte dans son extrémité. J’entends une voix grave  qui discute et qui aime, et une autre d’enfant qui ne dit pas grand-chose mais sonne le bonheur de ses pas accordés à ceux de la voix d’homme dont elle se régale. L’odeur du savon.

Violette sort du bain, fière comme il se doit de son ventre en avant, de ses cheveux mouillés, de son Papa qui l’accompagne, et c’est ça le plus beau. Ils parlent ensemble une langue inventée dans les jeux éclaboussés de rires, dans les frottements épais de la serviette qui fait Violette momie. Je les écoute. J’aime être leur étrangère.

Camille pépie toujours, elle ne s’est pas dérangée de sa sœur qui se fait coiffer. Violette se tient droite et son père s’applique, tenant de tout son cœur une brosse rose-fille.  Ses cheveux en bataille et sa barbe oubliée se taisent autant que moi. Ils s’effacent devant le père qui fait à son morceau d’étoile les cheveux bien raides, bien nets, sans un pli. Il les place en arrière pour ne pas la gêner. J’admire sa patience, moi qui n’en avais plus. Le petit mistral engouffré en criant, tout à l’heure, dans le couloir en demi-teinte, s’est fait brise, apaisé d’eau chaude et de gestes attentifs. Je regarde ma fille ressuscitée et sa peau plus tendre maintenant. Lavée au savon de l’amour, innocence et pureté lui sont rendues. Elle prolonge la grâce en ne bougeant pas trop. Elle sent bien, elle aussi, qu’il y a des secondes qu’il est doux d’étirer.

C’est à Camille. Embrassant ses joues rondes qui résistent ce qu’il faut mais se laissent adorer tout de même, je l’enlève à sa chimère chantante. Nous disparaissons à notre tour dans le couloir. Le bain. Avec Camille c’est un peu la bataille. Elle veut tout accomplir, elle est gauche et têtue. Elle me pousse, moi qui voudrais la faire propre comme un sou neuf et la frotter aussi fort que je l’aime. C’est une autre musique.

L’horloge a tourné, l’eau refroidie l’arrache à sa détermination. Ses cris réclament  encore un peu de bon bain chaud alors que je l’emporte, emmaillotée comme l’enfant miraculeux. Alors se déploient, et cela vient du ventre, les mots tendres, les larmes essuyées, et joue contre joue, et le coton tout raide d’être propre et tout ce qui console. Par sa colère rincée de larmes, Camille m’offre la joie d’être sa mère et de la sauver de ses pleurs. Voilà. Elle s’assoie à présent, bien fort et bien confiante, dans mes bras qui l’emmènent. Tendre traversée de la frontière entre les mondes.

Le couloir débouche à la lumière jaune. On entend une guitare faisant des vocalises. C’est Papa dit Camille, encore maquillée d’un étrange clair-obscur. La cuillère de Violette tinte dans son assiette.

Le monde est un peu différent à la sortie du bain. C’est un joli mystère que l’on n’ose évoquer. Tout est tombé, les vétilles et la bouche pincée, les nerfs secs et les coupures dans l’air. Le moment se repose à nos cœurs réparés.

Le bain des enfants réconcilie le jour et la nuit qui s’installe.

30 commentaires sur “Le bain des enfants

  1. 🙂 J’aime – notamment – les sons dans ton texte, les grelots du soir. Je crois reconnaître l’ambiance. J’ai voulu évoquer cette heure d’après repas dans un poème, il y a quelques années, que j’avais intitulé Sous la table. Mais contrairement à mon poème, ton texte est dénué d’amertume, et tendre. La fatigue y est douce…

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    1. Merci Quyên! C’est vrai que l’atmosphère sonore tapisse le texte, et sans doute est-elle reconnaissable pas de nombreuses familles. Je voulais saisir deux impressions très fugaces et j’ai finalement un peu tourné autour sans vraiment y parvenir. Ce n’est pas tout à fait ce que j’avais en tête au départ. Tant pis! Quant à l’amertume, elle parfois bien là… Je me dis que la grâce, même fugace, doit être saisie. Peut être que cela aide à changer de regard quand ce n’est pas si simple… Ton poème est-il sur ton blog?

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        1. Tu sais, j’ai en tête un recueil de textes qui sonderaient ces instants si fugaces, de mots nés de quelques secondes. Et à nous « entendre » discuter, je crois que je pense à un titre qui pourrait être « l’épaisseur et la lumière »…

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        2. J’aime beaucoup la façon dont Joséphine parle de l’auto édition en disant qu’elle « s’est autorisée toute seule » à publier ses nouvelles. Elle a eu raison ! Suis ton désir !

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        3. Oui! Son article si sage et si simplement direct m’a ouvert cet horizon, mais je crois que j’ai encore besoin de me « former » dans cette espace ouvert (mais intime quand même, finalement 🙂 ) du blog. L’idée mûrit chemin faisant.

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        1. Je me dis que l’écriture de ce qu’il y a de beau, même s’il est parfois dur à goûter dans la réalité, peut le rendre plus saisissable pour l’avenir, malgré les fatigues . Comme un appui lumineux pour tous les moments à venir, pour éduquer mon regard, encore.

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        1. J’essaie de moins bloguer mais j’ai encore au moins trois choses à écrire de prévues. J’ai bcp écrit sur le blog depuis mars, depuis qu’Aldor et Joséphine sont passés chez moi et que j’ai eu la joie de découvrir leurs blogs. Tu l’as vu, J a un don pour faire naître des textes. Je voudrais me calmer un peu maintenant. Mais je suis tres heureuse fait ces belles rencontres, dont la tienne. Amusants, tous ces points communs entre nous ! 🙂

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        2. Oui, Quyên. Toi et Joséphine êtes de belles rencontres faites de mots et de vérités qui n’affleureraient peut-être pas, sans les textes échangés et discutés. Mais je disais l’autre jour « Je dois me rendre à mon présent, à la réalité saisissable » (Je me cite moi-même, si ce n’est pas du pédantisme ça…😳), et cela signifie s’arracher aussi à ce vertige, si agréable soit-il. Nous blogerons encore, Avec bonheur, mais le présent sensible mérite nos soins donnés. A Toi dont je sens tous Les Échos de moi, je te souhaite une belle plongée dans ta réalité. Je plonge aussi. Et à très vite malgré tout.

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  2. Ces deux charmantes ont de la chance de grandir sous ton regard… J’aime les détails – « le petit mistral (…) s’est fait brise » – et ta sagesse pénétrante – « j’aime être leur étrangère », « elle peut s’absenter puisque tout est en ordre »… et puis les sons… Les sons sont la caresse du monde. Tu sais rendre si bien, leur tintement, leur tintinnabulement.

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