Les poches – Histoire naturelle et fantasque d’une famille qui n’a pas toujours la vie facile.

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A Joséphine et M. Paresseux, dont les histoires de poches, d’hommes, de femmes et de bouts du monde, sont les mères de celle-ci !

Les poches. C’est une grande, grande famille, si grande qu’elles sont toutes plus ou moins cousines mais ne se reconnaissent pas toujours entre elles. D’ailleurs, on n’a jamais vu une poche en saluer une autre. Elles sont toutes parfaitement inciviles, occupées, concentrées sur leur quant à soi, sur les petits secrets dûment, ou indûment, déposés en leur sein. Elles savent l’importance de leur mission, qui pèse parfois comme le rocher de Sisyphe. Leur seule résistance, c’est de ne plus résister, et de percer. Tout lâcher, et tant pis pour celui qui avait présumé de leur force.

Malgré leur cousinage, elles ne sont pas toutes logées à la même enseigne. Les plus distinguées sont, sans doute, celles des montres à gousset. Mais ces poches-là sont un peu désuètes. D’autres, plus contemporaines, ne s’abiment pas trop les coutures : elles se dorent, insouciantes, au frottement des billets de banque – seuls objets au monde à se faire plus légers à mesure qu’ils s’accumulent. Celles-là, de poches, sont assez coquettes, en général. Pas trop d’effort à fournir. Puis, on en prend soin, on les fait proprettes, même quand elles contiennent de l’argent sale, qui naturellement, n’a pas d’odeur. Elles ne sont pas incommodées, vous comprenez, et c’est un facteur essentiel pour leur espérance de vie. Alors elles durent, elles durent tant que c’en est exaspérant – même pour leurs possesseurs qui en changent souvent, cherchant toujours des poches plus neuves, plus tape-à-l’œil. Et hop, les billets iront ailleurs, tant pis pour les bons et loyaux services, au placard la poche !

Ces poches à grosses coupures narguent parfois les poches à petit bazar. Vous savez, celles à qui le commun des mortels confie, sans y penser, les trousseaux de clés empesés et saillants, les mouchoirs souillés, les portefeuilles aux multiples cartes de fidélité qui ne se rappellent plus à quoi elles sont fidèles, les lourdes piécettes de deux sous, les tubes de rouge à lèvre, les briquets, et même les vieux mégots. Ces poches surexploitées ne font pas de vieux os. Elles s’étirent tout ce qu’elles peuvent pour crever au plus vite. Non mais ! Monsieur et Madame Sans-Gêne, vous récupèrerez votre mini-brocante dans la doublure de votre manteau. Oh, vous pouvez me recoudre, je crèverai encore, car ma crevaison est un acte politique ! Les poches crevées, on peut les entendre chanter l’Internationale des Fourre-tout ou la Chanson du Mal-aimé (pour les plus lettrées, celles qui ont déjà eu un vieil Apollinaire écorné à méditer) ; mais il faut tendre l’oreille.

Il y a aussi les vieilles poches, celles qui trainent les litrons ingurgités au hasard des trottoirs, et celles qui s’accrochent à un habit hors d’âge, mais que l’on porte malgré tout, et malgré les trous – ou pour les trous, que l’on aime parfois assez tendrement. Les histoires d’hier qui les ont traversées, transpercées, se font sentir dans la déchirure qui caresse les doigts glissés. Les poches trouées ont la délicatesse, aussi, de laisser passer la lumière. D’autres poches crevées attendent désespérément les poings d’un petit poète rêveur, marcheur, ou d’un autre, fugueur, rimeur. Parce que chez les poches crevées, c’est le fin du fin d’être une poche de bohème.

Pensons encore à cette autre branche du grand arbre généalogique de la famille des poches, celle des poches à petits bouts du monde. Les femmes en portent un bout, du monde, dans leur main délicate. C’est lourd, un bout du monde, pour leur bras maigrelet. Elles voudraient bien pouvoir le poser de temps en temps, mais elles trouvent l’homme trop incapable, trop oublieux. Chaque homme a, lui aussi, son morceau de monde et ce n’est pas facile non plus, même s’il a  des bras costauds, parce que l’homme a des poux et qu’il ne peut pas se gratter la tête avec un morceau de monde dans la main. Il trouve la femme trop étourdie, elle va tout mélanger, son morceau de monde avec les serpillères et les doudous des gosses. Non, vraiment, c’est impossible. Alors que font ces hommes démangés par les poux et ces femmes chétives ? Ils cherchent une poche. Une poche de confiance, solide. Une belle poche quoi. Pas facile à trouver, les poches de ce type-là. Forcément, elles connaissent leur destin et tentent d’y échapper, en vain. C’est comme cela que ç’a été écrit : elles sont faites pour ployer sous le poids de tous les bouts du monde délaissés par les hommes et les femmes.  Et c’est une sacrée cacophonie dans leur intimité de poche. Si l’on regardait bien, on y verrait des conflits, des trucs sanglants, des enfants morts de faim. Mais personne ne regarde jamais, c’est trop vilain. Les poches à bouts du monde pleurent souvent très fort, mais on n’y fait pas attention. Il faudrait qu’elles aient une mère pour les consoler ; seulement, la mère des poches à petits bouts du monde, on la cherche encore*.

Enfin, les plus chanceuses, car toutes n’ont pas un destin si tragique, ce sont les petites poches des tout petits enfants. Oh, il ne faut pas qu’elles craignent d’être salies, mais elles sont les gardiennes de tous les trésors glanés, gardés, aimés. Un caillou en cœur, ou même pas, juste un caillou. Un pissenlit fané. Une feuille ni jolie, ni fraîche. Une feuille est un trésor en soi. Un petit bâton, tout doux dans la main. Une poignée d’herbes longues. Ce sont les bouts du monde que ramassent les enfants. Ils sont déposés là, dans l’ombre protectrice d’une petite poche, avec soin, avec tendresse. Les enfants ne s’en débarrassent pas. Ce sont des éclats de joie et les poches enfantines font bien attention à ces joyaux pour lesquels personne ne se battra jamais. Ils sont légers comme des nuages. Les petites poches, complices des petits enfants, ne dévoilent pas toujours les précieux secrets. Alors, l’histoire finit, tambour battant, dans une machine-à-laver.

*M. Paresseux mène son enquête, parait-il, nous attendons des nouvelles.

28 commentaires sur “Les poches – Histoire naturelle et fantasque d’une famille qui n’a pas toujours la vie facile.

  1. Il y a les de sous les yeux, celles qui ont vu tant de beau paysages qu’ ils soit réel ou à images ou encore imaginaires. Les poches où l on met nos soucis nos désirs et nos plaisirs. Celles qui voudraient bien disparaître quelques fois dans le fond de leurs cousines, les poches de sac, de vestes, les poches en plastique, mais qu’ on garde précieusement car on les trouvent pas si mal dans le fond. Et ces poches là ne nous quittent pas on peut y retrouver des souvenirs, des amours , les jours qui passent.
    Il nous suffit de nous voir dans la glace.
    S entendre dire : vous avez de belles poches ici ! ……Oui elle me tiennent compagnie par tout les temps! et j’en suis très satisfaite de leur fonds. ……..

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  2. C’est un magnifique texte et on peu y lire tant de choses ! Ton humour et ta générosité. On devrait plus souvent faire les poches pour découvrir tous les trésors que tu nous a révélés. Tu as oublié la poche d’air, cette belle bulle d’oxygène qui nous fait du bien après t’avoir lue. Merci pour le partage. 🙂

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        1. Merci, c’est vraiment gentil à toi !
          Cela m’amuse d’imaginer cette montagne de sacs que tu dissimules sûrement dans ton armoire 😉
          Il s’appelle « Comment trouver un homme assorti à son sac à main ». publié aux éditions La boîte à Pandore. On le trouve partout ou sinon, il faut le commander en librairie ou sur Amazon aussi. C’est un guide traité sur le ton de l’humour, mais j’ai mené une étude auprès d’une centaine de femmes pour vérifier mon hypothèse de départ : on devrait choisir son partenaire comme on choisit son sac car les critères d’exigences sont les mêmes 🙂 J’espère qu’il te divertira et t’enseignera plein de choses sur cet indispensable accessoire qui nous accompagne au quotidien. 🙂 Merci à toi pour ta confiance. Et si tu publies ou a publié quelque chose, je veux bien découvrir aussi 🙂

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        2. « J’espère qu’il te divertira et t’enseignera plein de choses sur cet indispensable accessoire qui nous accompagne au quotidien.  » Tu parles de l’homme bien sûr!
          Oh j’en salive d’avance! (Mais si j’avais autant d’hommes que de sacs à main, un pour chacun, pour l’assortiment bien sûr, ce serait une joyeuse cacophonie! ) Et je vais l’offrir à quelques copines qui ont moins de sacs et plus d’hommes! Je commande cela cette semaine 🙂
          Je n’ai absolument rien publié. Pour l’instant, je n’ai pas assez foi en moi-même, ni en l’intérêt de mes petits textes. Le blog est un bon entre-deux qui me permet de travailler la question..

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        3. Tu verras, je l’ai abordée la question du « Et si j’ai plusieurs sacs, est-ce que cela veut dire que j’ai plusieurs compagnons ?  » C’était très amusant ces échanges. Le blog est un bon début que je t’encourage à poursuivre sur un cahier jusqu’à un jour publier 🙂 Excellent week-end à toi et merci encore ! Bises 🙂

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        4. Mercis Nadia pour tes encouragements! Il y a une urgence d’écrire que ce blog réveille. Et les échanges qui en naissent sont féconds, et drôles aussi! Mais qui sait, il y aura peut être un recueil « les narines des crayons », un jour. Je te souhaite aussi un bon week-end!

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        5. Je suis sûre que non! Le titre est alléchant!
          Je pense à notre conversation sur la peinture et sur Marie Laurencin: j’ai découvert ce week end à Paris plusieurs tableaux sublimes, de divers peintres, dont un de Marie Laurencin qui m’a fortement émue. C’est le portrait d’Anne Sinclair à quatre ans. J’en ai mis des photos (trouvées sur internet) dans un article « Des tableaux bouleversants ». Peut-être te plaira-t-il?

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