L’enfant qui ne vient pas

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et Amar -ch 2, Lune – ch 3, Dans la cathédrale, L’art est un prétexte, Le temps des larmes,

L’appartement n’a pas d’odeur

 

Claire et Julie – Ch 5

Les deux amies sont seules sur le quai de la gare. Les vacances rêvées ont tourné court. Elles n’ont pas encore décidé ce qu’elles feraient. Elles sont remplies des larmes de leur ami évaporé avec le jour. Elles n’ont pas bougé et n’ont rien dit tant que le grondement du train a été perceptible dans le fond de l’air bleu sombre du soir. Laisser Amar aller à son chagrin, le laisser rejoindre sa mère et que leurs pleurs puissent enfin se mêler, se répondre. La mère d’Amar vit au-delà de la Manche et cette eau qui les sépare  s’engraisse de leurs pleurs qui n’ont pas encore pu couler ensemble, mêlés, côte-à-côte. Julie est si bouleversée qu’elle ne peut plus parler. Claire dit que c’est pourtant un soulagement, que la douleur se fraie un chemin dans le corps, qu’il puisse affleurer au delà des yeux et des lèvres fermées. Et Pierre sera juste à côté de lui, tant qu’il faudra. Avec sa réserve naturelle et la vérité de sa présence.

Tu as raison, dit Julie. Comme toujours. Elles sortent de la gare, se tenant par le bras, serrées, épaule contre épaule parce que cela soulage un peu.

Le téléphone sonne dans la poche de Julie. Il est trop tard pour que l’appel soit attendu. Elle bondit. Réaction vive de toutes les mères éloignées de leurs enfants. Et si… ? La musique fluette au bout du fil la calme tout de suite. Tout va bien. Sa petite fille aux joues rondes babille quelques minutes. On ne comprend rien d’autre que l’amour et le désir plein de sa maman, la caresse de ses mots. Le cœur de la jeune mère se gonfle instantanément et déborde d’elle-même. Par son sourire, ses yeux, son pas qui s’alanguit et devient plus léger. Quelques secondes qui valent une vie de bonheur. Quand le fil invisible de la voix est rompu, la nuit se fait plus immense et l’espace plus lourd.

Claire demande des nouvelles de sa petite filleule. Elle se veut attentive mais la voix se fracasse sur son ventre à elle qui est vide. Elle raconte, pour une fois, les choses intimes qui vont avec ce vide-là, ce qui remue à l’intérieur d’elle et le sens de la vie, où est-il quand son ventre reste vide ? C’est cela son abîme, qui a grandi avec les années d’espoir, d’attente, d’angoisse, et maintenant, de douleur. Claire avoue qu’il y a en elle un trop plein de quelque chose qu’elle a besoin d’offrir. Ce quelque chose, c’est de l’amour-joie quand il trouve son objet, c’est une blessure quand il étouffe, étranglé par l’absence. La maternité ne lui est pas donnée. Pourquoi? Qu’a-t-elle donc au fond d’elle qui l’empêche, qui la prive ? Sa mère lui a toujours dit que pour faire des enfants, il faut s’aimer très fort. Son mariage, lui semble-t-il, est plus certain que le soleil du matin. A moins que… Claire ne sait même plus. Cette béance dans son ventre brouille tous les repères qui la tiennent debout.

Julie l’écoute, et la douleur de Claire s’infuse dans sa chair à elle aussi. Elle sait ce que c’est que de porter un enfant dans son ventre, de le porter dans chaque infime partie de soi-même, avec la certitude que ce poids-là qui leste la vie de bonheur ne s’allègera plus jamais, et elle ne peut soutenir l’idée que son amie, sa pure, sa limpide amie, soit privée de ce qui est donné à tant de femmes – souvent si facilement ! Mais à part tenir les mains de Claire et lui dire son amitié, que peut-elle faire ? Cette impuissance est une lame promenée sur la paroi poreuse de son cœur.

Soudain, Julie a une idée. Si on faisait exister cet enfant ? Remplir le trou de l’absence par des pensées. Les pensées de Claire pour l’enfant qui ne vient pas. Les écrire, leur donner le corps et le poids de l’encre. Et c’est Margot la spécialiste! Aller la voir, demain, lui demander son aide. Julie veut se persuader qu’il y a un salut pour son amie dans cette entreprise. Claire a l’âme si chargée de chagrin qu’elle ne sait pas. Elle veut bien essayer, puisque le périple en vélo est avorté, puisque Julie le dit, puisqu’il faut bien attraper la douleur par un bout ou un autre.

DESSIN femme foetus coeur brisé Personnages Crayon  - Femme consolant son coeur brisé

Copyright de l’image © HELENE GONNET

9 commentaires sur “L’enfant qui ne vient pas

  1. « sa limpide amie, soit privée de ce qui est donné à tant de femmes – souvent si facilement ! »
    Oui dans ce drame, il y a aussi ce sentiment d’ injustice.
    Celui d’ être apte tant sur le plan de l’ amour que l’ on est prêt à donner à cet enfant qui ne vient désespérément pas.
    Que sur le plan du QI et de l’ éducation que que l’ on pourrait lui transmettre.
    D’ où l’ aigreur que l’ on peut ressentir en regardant certaines « poules pondeuses » que l’ on juge subitement indignes de l’ être.

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  2. Mais ni Claire, ni Julie, je crois, ne s’aigrissent ni ne condamnent en leur coeur les autres mères. La souffrance est bien là, déchirante, cruelle, le sentiment d’injustice aussi – et encore je ne suis pas sûre pour Claire. C’est Julie qui toruve que la nature est injuste avec son amie. Je crois que Claire doute surtout d’elle-même .Disons que, comme ce sont mes personnages, je peux les extraire de cette aigreur – somme toute toute humaine. Ma Claire, comme la jeune femme qui m’inspire ce personnage, est d’une humanité telle que l’aigreur ne peut grandir vraiment dans son coeur.

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