Pour l’agenda ironique de novembre, que Martine -écrevisse turbulente-, nous invite à peupler de cette grande famille du 19eme siècle, les Bougon-Macabre. Il faut croire d’ailleurs que M. Paresseux a mis son nez dans cette histoire, entre deux dodos.
Il fallait aussi une anadiplose dans tout ça: si vous en voyez une dans les bougonnements de Thérèse, prévenez-moi, je n’ai pas cherché. Si vous n’en voyez pas, prenez votre stylo rouge et gratifiez moi d’un beau HS dans la marge!
Les bougonnements de Thérèse
Thérèse s’est pourtant appliquée à geindre! Tout un roman –une vie ! Sans renâcler à la peine, elle s’est taillé un tempérament opposé à celui de son cousin, cette chiffe molle de Camille qu’elle s’est aussi infligé comme mari. Ah, il eut été si simple de se laisser bercer par les grands bras de sa tante, la vieille Raquin, qui ne demandait qu’à l’aimer. Comme le chat François, elle aurait ronronné de plaisir toute une longue existence dans la boutique du Pont-Neuf. Oh, elle aurait pu réclamer autre chose que ce trou obscur mais quand le cadre s’est présenté, elle s’est dit que c’était parfait pour un roman noir, et elle a sauté sur l’occasion.
Surtout, se faisant heureuse, elle n’aurait pas rendu service à Emile. Il n’aurait plus eu de roman à écrire (ça intéresse qui, le bonheur ?), et imaginez donc, un romancier sans roman ! Alors elle s’est faite nerveuse, elle s’est créé des besoins de grand air et de chair, de frisson et de liberté. Cela a très bien marché et elle a été malheureuse comme une pierre ! Elle a même travaillé son jeu : quel regard a-t-on quand on souffre ? Est-on rêveur et muet ? Sournois ou coléreux ? Après plusieurs essais, elle a choisi le silence et les lèvres serrées, la mollesse du corps et l’esprit tendu. Cela faisait plus mystérieux. Au malheur et au mystère, elle a bien voulu, encore, ajouter l’adultère. Attention, sombre l’adultère. Sans lumière, l’amant. Un sale type, épais comme un bœuf, rude, mauvais, égoïste et profiteur. C’était du gâteau à écrire, un truc affreux pareil. Décidemment, ce cher Emile lui en devait plus d’une !
Ensuite Thérèse a senti que son auteur, son auteur presque tout neuf, suait sang et eau pour la suite. Comprenez, écrire un roman, ce n’est pas tous les jours une sinécure. Alors elle a consenti à donner encore de sa personne : elle a poussé au meurtre l’amant sans scrupule et Camille a passé plusieurs jours à flotter dans la Seine. Il s’est gorgé d’eau avant d’atterrir, tout gonflé et tout vert, derrière les grandes vitres de la morgue. C’était… brrr… à n’en plus dormir.
Vous voyez, Thérèse n’a vraiment rien négligé pour être une parfaite héroïne, tragique jusqu’au bout des ongles. Elle a même, il y a six mois de cela, épousé Laurent (l’amant sanguin, le meurtrier). Six mois de violences et de tortures, d’hallucinations morbides. Voilà, elle a fait tout ce qu’elle a pu pour contenter son écrivain quasi débutant. Et franchement, pour un premier roman (en fait il en a écrit deux avant, mais on ne les a pas trop lus, et Thérèse compte bien qu’on la lise), vu de l’intérieur, cela n’est pas si mal !
Sauf qu’aujourd’hui, alors qu’elle se livrait à une nouvelle dispute terrible, et même à une fausse couche (coups dans le ventre – libération), elle a découvert, mortifiée, que dans l’esprit de son romancier germait une idée extraordinaire (ce sont les personnages qui savent tout du romancier, c’est bien connu) : il écrirait une grande, grande série. L’histoire de toute une famille avec ses ramifications, ses noirceurs, ses cadavres. L’Histoire naturelle et sociale des Bougon-Macabre. Elle a entrevu une rivale, et elle a bien senti qu’elle lui volerait la vedette. Dans la tête d’Emile, alors qu’il n’avait pas encore touché une plume, se dessinait déjà Gervaise, mourant de froid, après avoir subi les hommes, après avoir été bonne et courageuse, si naïve et si faible. Thérèse l’a détestée tout de suite, celle-ci, morte dans son trou sous l’escalier. C’est trop facile de trainer sa mort comme ça !
Terrassée par le sentiment de l’injustice –qui, plus qu’elle, mérite ce nom de « Bougon-Macabre », après tout le mal qu’elle s’est donné ? – Thérèse a voulu en finir, magistrale, reine du papier pour quelques lignes encore. Une fin explosive, flamboyante, qui surpasserait celle, minable, de Gervaise, c’est ce qu’elle a organisé. Préméditation d’un meurtre réciproque (il n’y avait plus beaucoup à pousser Laurent de toute façon, et le poison s’imposait– c’est un lâche), et bien sûr elle a gardé pour elle le couteau. Du sang ! Ah, cela serait merveilleux ! Gervaise n’aurait qu’à bien se tenir. Elle a placé sa belle-mère paralysée et muette – qui les hait parce qu’elle sait qu’ils ont assassiné son fils chéri mais qui ne peut le dire à personne (hé hé, Emile, la cruauté ça paye !) – donc elle a placé la vieille en plein milieu de la dernière page, et paf, coup de théâtre : point de meurtre mais un double suicide sous ses yeux vengeurs. En mourant, Thérèse a pensé (mais ça, le lecteur ne pourra jamais le savoir) : « Rideau ! Et maintenant, Emile, débrouille-toi avec tes Bougon-Macabre et ta Gervaise, pas sûr qu’ils fassent aussi bien moi ! »
Mouacre ! (et je pèse mes mots) voilà bien un destin d’héroïne ! à bas Gervais l’arriviste ! vive Thérèse Bougonne !
pas vu (pas cherché) l’anamorphogénèse demandé par Martine, mais j’ai l’impression qu’il y a un peu trop de sous dans cette prase là :
« morte dans sous trou sous l’escalier »
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et pas assez de h dans ce mot là: prase ! 🙂
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🤣😳😬
Je corrige je corrige!
(C’était pour voir si vous suiviez!)
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Ahhhhh mais c’est toi qui as oublié le h dans phrase!!! Et moi qui relis à n’en plus finir en me trouvant bien idiote de ne pas retrouver le mot « prase »!
😩😩
Donc cetait pour voir si JE suivais, c’est ça? Et ben… on va dire que ma concentration est fluctuante ce matin !
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non, même pas d’intention secrète ! 🙂
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Peut être que l’intention ( secrètes après tout) ne t’avais pas mis au courant 😉
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Ah ah ah! Bon c’est vrai que c’est bourré de coquilles! Dommage ca ne fait pas pile une anadiplose, ça aurait été pratique! Je vais humblement corriger les boulettes (faut dire que l’humeur noire de Thérèse m’a fait écrire un peu trop vite. Sont exigeants ces personnages!
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Hahaha ! J’aime ! Je réalise aussi que je n’ai pas lu ce chef d’oeuvre, et que je m’en passerai certainement ! Le sujet de Martine est trop difficile pour moi, mais tu t’en es drôlement bien sortie ! 🙂
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Merci Quyên! C’est vrai que le sujet est difficile (j’ai cru que je n’écrirai pas, mais mon agacement à l’égard de ce roman a tenu ma plume.) Je me suis farci Thérèse Raquin plusieurs années parce que le programme dit que l’on doit « faire étudier en œuvre intégrale un roman naturaliste du 19eme siècle en 4eme », et qu’honnêtement, il est beaucoup plus facile que d’autres que j’aime infiniment plus. Cette année j’ai renoncé à suivre le programme, tant pis pour le naturalisme. Les 4eme lisent Les Misérables!
Ceci étant, il y a une Thérèse que j’aime beaucoup, c’est celle de Mauriac.
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Mais c’est que tu t’y connais en bougonneries…. Fascinante ta Thérèse … Et rudement macabre ce qui est en plein dans le sujet 🙂
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😀merci Valentyne!
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Ma fille a dû lire -aussi- Thérèse Raquin en 4ème…et elle ne s’en est pas remise. J’adore Zola, mais, franchement, Thérèse Raquin à treize ou quatorze ans, c’est un peu « noir », non ? Qu’est-ce que veut l’Education nationale ? Une génération de « déprimés avant l’heure » ?
Ceci dit, j’aime beaucoup ton texte…c’est tout à fait ça !!!!
On sent la connaisseuse…et c’est très bien tourné.
Bravo !
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Oui, je suis d’accord, c’est vraiment noir pour des 4e. J’ai un peu honte de l’avoir fait lire à plusieurs classes. En classe, j’ai essayé de leur présenter un peu sur le même ton que dans mon texte, en montrant la machine romanesque à l’œuvre. Je crois qu’ils n’ont pas été traumatisés, mais je ne peux être sûre pour tous. Cette année, je triche en leur faisant lire les Misérables. C’est sombre aussi mais il y a de la lumière quand même!
Enfin, merci pour ta lecture et ton compliment qui me fait vraiment plaisir (d’un côté c’était sympa de régler mes comptes avec Thérèse et toute la clique!).
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Très chouette mise en abîme (sans le chapeau sur le « i » pour les adeptes des modifications orthographiques dont je suis pourtant). J’adore tous les télescopages. Un bon petit récit sans anadiplose mais bon, on ne dira rien. Qui plus est, je déteste les anadiploses ! (Faut rien dire à Martine). Donc, bravo chère Clémentine (Joséphine-Valentine-Titine : je me trompe encore de prénom ou j’ai tout bon ?). J’ai vraiment apprécié ton récit !
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Ah ah merci Anne! Oui c’est bien Clémentine 😉
Pour le i ou î, j’aime de manière irrationnelle le î pour ce qu’il donne à rêver des mots ( Ponge dirait l’ouverture de l’huître et moi le gouffre de l’abîme s’entrouvrant) et pour les verbes, je n’ai pas d’avis sur la question ( c’est une honte pour une prof de lettres!).
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Waouh, c’est vrai que vu comme ça, ça vaut le coup d’être bougons pour des uns et macabres pour des autres, ou les 2 à la fin, pour être lu 😉
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Etre lu: voilà la clé du paradis des personnages. Peuvent-ils l’obtenir sans râler et jouer des coudes?!🙃🙂
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Très drôle ! Et très pertinent ce rapport entre l’auteur et son personnage…
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Mais oui, c’est le personnage qui décide de tout, c’est bien connu 😉
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