C’est un jeune homme qui vient d’avoir dix-neuf ans. Il est sensible et bon, brillant élève. Dans son lycée de Constantine, Jacob a découvert Hugo et Baudelaire et Proust et c’est notamment grâce à eux qu’il se sent français. Sa famille est pauvre et s’entasse, mère et père et son frère qui a dix-neuf ans de plus que lui, avec sa femme et leurs trois enfants, dans un deux pièces. On est en 1944. Son père et ses frères sont durs comme ceux qui n’ont pas de mots pour dire tout ce qui les traverse. Les enfants sont battus, enfermés pour la nuit à la cave quand ils ne sont pas sages. Les mères, impuissantes, sont au supplice. Les mères, dont les enfants sont la seule joie. Madeleine notamment, la belle-sœur de Jacob, ignore complètement le bonheur conjugal. Le mariage n’est pour elle qu’un déracinement.
Jacob est la fenêtre claire du foyer. Il est homme, assez viril pour que Lucette la voisine soit secrètement amoureuse de lui. Il est viril mais délicat, attentionné, poli et serviable pour sa mère, et pour sa belle-sœur qui l’aime comme le seul point lumineux de sa vie. Il rassure la petite Camille la nuit et lui fait faire l’avion aussi, et son bras entoure également les épaules du jeune Gabriel, rempli déjà de colère et de hargne. Il lui apprend les ricochets.
Mais on est en 1944 et après que Jacob a été renvoyé du lycée parce qu’il était juif, la France soudain l’appelle à son secours, et il est aussitôt entré à l’armée qu’il part pour la France et monte de Provence en Alsace, repoussant les allemands sur son passage, et meurent sous ses yeux ses camarades. Une vie de soldat, brève, intensément amicale et douloureuse.
Il y a Madeleine qui perd sa toute petite Ginette, et le silence de son mari, Abraham, incapable de joindre sa souffrance à celle de sa femme. Il y a la dureté de cet homme, Abraham, qui, pourtant, à la fin de sa vie, se met à aimer, passionnément, le chant des ortolans. Il y a la mère, Rachel, qui marche à travers l’Algérie pour voir son dernier fils dont le service militaire est à peine entamé, un panier rempli de provisions sous son bras, ignorant que l’enfant adoré est déjà en France sous les balles. Il y a le cœur troué de cette mère qui murmurera jusqu’à son dernier jour le nom de son Jacob. La douleur des femmes dans ce roman est racontée sans excès larmoyant (Rachel est un peu trouble, et dure aussi avec Madeleine, sa belle-fille), mais de façon poignante. Et bien sûr, l’évocation des sombres remous de l’histoire qui lie la France et l’Algérie n’est pas pour rien dans la beauté et la justesse du livre.
Enfin, il y a l’écriture de Valérie Zenatti qui tient notre souffle à son extrémité, qui s’allonge pour épouser les cœurs et les pensées, qui s’inquiète de ses personnages avec une empathie bouleversante. Beaucoup de choses sont esquissées mais l’esquisse est puissante. Un roman à lire comme il semble avoir été écrit : d’un seul souffle.
C’est pas une spécialiste de littérature jeunesse ? Une auteure à suivre à n’en pas douter…
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Je n’en sais rien. Je la découvre avec ce roman dont je sais qu’il est vraiment bon parce qu’il continue à vivre en moi, à me remuer silencieusement, plusieurs jours après que je l’ai terminé.
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Voilà, j’ai retrouvé ce qui me manquait. J’ai fait lire à mes élèves in illo tempore « Une bouteille dans la mer de Gaza » de cette auteure israélienne dont nous avions beaucoup apprécié le roman qui parlait d’une paix possible entre ces deux races irréconciliables !
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Ah oui! Je me souviens de ce titre, cela me donne envie, du coup. Je crois que tu aimeras Jacob, Jacob, mais c’est quand même un livre très douloureux. Il vaut mieux le savoir en l’ouvrant.
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Euh, en fait je crois bien que je l’ai lu, ce livre! Quelle étourdie!
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lire, oublier, relire, se souvenir…
et l’émotion, bien sûr, du livre qui vit après la lecture ; ça, c’est un signe (et même, le signe).
il ne te reste plus qu’à écrire, récrire et recommencer 🙂
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Oui, je tente à nouveau d’écrire. J’ai deux textes en préparation. Ils sont encore très maladroits. J’ai seulement le titre du deuxième qui ne devrait pas changer: La cloche fêlée du perroquet 😉
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C’est bien d’avoir des trucs sur la table, même (et surtout) maladroits (c’est là que, tout flous, ils ont leur plus grand potentiel : on ne sait pas encore où ils vont nous emmener)
j’espère qu’on entendra bientôt sonner la cloche fêlée du perroquet 🙂
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