Je vous ai apporté

je vous ai apporté

des brassées de bois clairs, d’invisibles oiseaux

des plantes volontaires enlacées sans question

voici des galaxies entières

saupoudrées sur les châtaigniers

voici les demoiselles, caresses des talus,

demandant « poule ou coq ? » à ceux qui les écoutent

je vous offre un bouquet

un bouquet de fleurs-mots

cueillies après l’averse

dans le premier rayon

et leur éclat chuchote

comme un secret d’amour

prenez, prenez ce dernier vers

c’est un long ruban exhalant la terre chaude pour embrasser le monde

Doux parfum

A Caroline et Pierre-Luc

C’est dans l’hiver le sursaut de la lumière. Le camélia fleuri salue notre regard que le ciel impérieux, réclame.

Nous sommes à la fenêtre, les enfants se sont tous endormis .

Nous n’avons plus quinze ans. Cette pensée est neuve de la clarté de janvier, veloutée comme les fleurs roses invitées dans le cadre blanc qui nous verse au milieu du jardin.

La forêt n’est pas loin. Un espoir muet répand son doux parfum.

Il remarqua sur le sol un morceau de verre brisé

Voici le dernier des trois temps de la valse, la suite des deux billets précédents.

Cette année le concours était parrainé par Christophe Carlier et la phrase par laquelle nous devions commencer était: « Il remarqua sur le sol un morceau de verre brisé ».

Je n’ai pas encore assez de recul sur la nouvelle que j’ai proposée, même si je sens ce qu’elle peut avoir de convenu, d’attendu. Je note aussi que mon personnage s’appelle Marie, comme dans la nouvelle précédente, tandis que dans la première l’homme s’appelait Marin. Obsession? Manque d’imagination?

Ecrire une nouvelle est toujours un exercice très difficile pour moi. Le format, le genre, la pression du délai à respecter dans une période où il y a énormément de travail au collège… autant de terribles contraintes! Mais j’aime l’idée de partager cette difficulté avec les élèves, d’essayer comme eux, de suer, comme eux. De manière générale, ils ont beaucoup plus d’imagination que moi.

Cette année, c’est une autre amie, Ainhoa, qui m’a aidée à débloquer cette histoire qui ne voulait pas démarrer. Merci pour ces échanges fertiles!

La question reste toujours la même: que peut-il advenir de ce personnage tout neuf? La réponse naît parfois dans une discussion animée autour de l’acte d’écriture, sans lien direct avec le texte en cours d’écriture…

Cette année, il y a avait seulement une élève à la remise des prix, un élève souriante, intelligente et vive, qui dit toujours son enthousiasme. Une élève pleine de lumière.

Cette année, ma collègue et amie est venue aussi, et nous avons savouré des pâtisseries orientales avant de nous rendre à la médiathèque, heureuses de ce temps qui nous était donné. Ce sera sans doute la couleur que je garderai du concours de nouvelles 2019!


« Il remarqua sur le sol un morceau de verre brisé. » « Il remarqua sur le sol un morceau de verre brisé. » Marie avait écrit cette phrase au moins vingt fois. Et elle se la répétait, intérieurement, parfois en la murmurant, à longueur de journées. Elle l’avait tant tournée en elle, cette phrase qui devait être augurale, qu’elle était devenue une chose ronde et dure, sans aspérité, sans surprise. Impénétrable.

Pourtant, elle n’avait pas le choix. Elle s’était engagée à donner un texte elle aussi, à participer au jeu avec ses élèves, qui avaient écrit, eux, courageusement. Un concours de nouvelles est une chose sérieuse quand on a quatorze ans. Alors qu’elle pensait à eux, un sourire balaya son visage comme un rayon blanc.

Assise à son petit bureau, elle tenta d’appliquer les méthodes qu’elles donnaient aux enfants, en classe. Partez des mots. Cherchez donc ce qu’ils cachent, ce qu’ils révèlent. Elle essaya d’être sa propre élève.

Il. Ce « il » était peut-être le nœud du problème. Elle n’arrivait pas à lui donner corps. Un vieil homme ? Un enfant ? Son fils Martin ? L’homme dur qu’elle avait quitté, bleue de ses poings ? Elle ne voulait pas raconter sa vie. Sa pauvre vie. Mais la fiction était si mince, si lointaine, si creuse. Toutes les combinaisons étaient dérisoires. Pas de chair dans ses mots, pas de vie, pas de souffle.

Cela faisait des mois que les mots se refusaient, que tout ce qu’elle écrivait avait uniquement l’épaisseur de ses feuilles de brouillon. Les premiers coups reçus, et les suivants, avaient petit à petit fait s’éteindre son grand feu de langage qui jusque là avait brûlé si fort en elle qu’aucune journée ne s’était déroulée sans écrire. Elle tentait maintenant de souffler sur les braises. En vain, visiblement.

Marie s’arrêta, exaspérée. Elle était fatiguée. Martin l’appela. Il voulait une histoire. Elle accepta de bonne grâce -c’est reposant, une histoire toute écrite ! – jeta son crayon et alla s’asseoir avec son fils sur le petit lit blanc , dans sa chambre. La jeune mère ouvrit une histoire de papa poule qui était un ours et que son poussin aimait beaucoup. C’était le genre d’histoires qu’aimait Martin, des histoires de papas gentils. A elle, ces histoires lui enfonçaient toujours une épine dans le coeur.

Quand Martin s’endormit, Marie renonça à se remettre à sa table, à chercher cette nouvelle qui ne venait pas, ce « il », et ce morceau de verre brisé qui demeurait bien trop opaque pour du verre. Les collines lui offrirent un tendre rendez-vous au bord de la fenêtre. Elles accueillirent son malaise, sa douleur de vouloir écrire et de ne plus pouvoir. Le souvenir des poings d’homme. Les collines ne disaient rien à tout cela qui débordait de ses yeux, et c’était reposant. Les arbres nus attendaient dans les herbages, fragiles et dépouillés, comme elle. Mais la lumière de janvier bondissait déjà si claire sur les flancs ronds que Marie sut que quelque chose couvait et que le monde, discrètement, avait un petit sursaut, un frémissement secret, qui la consola.

Quelqu’un sonna. Marie bondit. Et si la sonnette avait réveillé Martin ? La jeune mère n’avait pas l’habitude d’être dérangée. Son fils faisait ses jours maintenant. Leur petite solitude lui était devenue chère, triste et précieuse à la fois. Elle ouvrit la baie vitrée, méfiante et douce. Elle dit « Entrez » et le vieux portail de la cour grinça en s’ouvrant. L’homme qui s’avançait était beau. Marie le remarqua tout de suite. Mais cela ne fit pas tomber sa méfiance qui avait été autrefois si fragile. Elle ne le fit pas entrer et il frotta longuement ses chaussures sur le paillasson, attendant peut-être une invitation qui ne venait pas. Marie l’observait. Il portait un manteau en laine bouillie assez inhabituel, et un pantalon plein de poches. Un pantalon pour emporter la vie toujours avec soi. La jeune femme constata qu’elle ne l’avait jamais croisé auparavant, ni au village, ni ailleurs. Et il n’avait pas l’air d’un commercial non plus. Lorsqu’il ôta son bonnet, elle s’aperçut qu’il portait les cheveux un peu longs, qu’ils étaient libres et bouclés, pleins de mouvement. Une barbe de dix jours. Cette homme-là semblait tracer tranquillement le chemin de sa vie, en souriant. Marie le sentit dans ce premier moment mais elle ne desserra pas les dents. Elle demeurait silencieuse, l’interrogeait du regard. Le visiteur sans doute remarqua à quel point Marie était frêle et pâle. A quel point elle avait peur. Alors il dit son prénom en lui tendant la main, avec la simplicité d’un enfant.

« Je m’appelle Thomas. »

Marie songea, en serrant cette main tendue, au père de Martin, à sa dureté de cœur, à ses coups. Qu’y avait-il sous ce sourire et ces cheveux longs? Tout résistait en elle aux yeux clairs de Thomas, au frisson discret qui soudain la parcourait, qui faisait circuler sous sa peau quelque chose qu’elle avait oublié.Tout luttait, se rétractait. Pourtant, elle fit l’effort d’écouter ce qu’il voulait dire.

Thomas expliqua qu’il faisait des photos et qu’il se doutait que la vue sur les collines, à la fenêtre de la maison de Marie, était unique. Au ras des dômes verts, dégagée et tendre, ronde et intime. Marie fut surprise d’entendre ces mots-là qu’elle utilisait elle aussi, en parlant des collines au bord de sa fenêtre. Comment pouvait-il savoir ? Etait-ce un sombre stratagème pour l’approcher, elle, la fragile, la vulnérable, pour la priver de ses mots intimes, pour la séparer d’elle-même, encore?

Tout remontait: les premiers soirs avec cet homme qu’elle avait aimé, sa confiance, la douceur dont il avait su faire preuve, d’abord. Et puis les premiers mots pointus, le mépris qui sifflait entre ses lèvres, les grandes colères et les portes claquées. Elle, sidérée. De plus en plus petite. De plus en plus blanche. De plus en plus maigre. De plus en plus silencieuse. Ses feuilles blanches, après la première gifle. La tête contre le mur. Et Martin qui dormait, si petit et n’ignorant rien, dans son sommeil, de l’homme qu’était son père. Marie pensait à sa fuite, sa fuite après tant d’autres coups. Sa fuite, le jour où Martin avait dit: « Papa méchant ». Le sursaut.

Tout le tapis noir de sa vie se déroulait dans son silence et elle faillit mettre l’homme à la porte, tout bonnement, prétextant qu’elle avait du travail. Thomas, pendant le grand silence de Marie, eut la délicatesse de se taire aussi. De la laisser finir de penser. Et c’est cela, sans doute, son silence, qui empêcha la jeune mère de refermer la porte.

En le laissant entrer, elle se dit que, quand même, le sourire et le regard du visiteur apportaient un peu de ciel dans la maison. Elle le conduisit à la fenêtre sans rideau qui la versait chaque jour dans les bras du monde. Il contemplèrent en silence. Il s’assirent sur large rebord où Marie avait disposé de grands coussins plats.

La jeune femme regardait davantage son hôte que les collines à travers la baie. Maintenant qu’il s’était assis, elle ne voulait plus qu’il parte. Elle fit du thé. Il montra ses photos. Elle parla des élèves et de Martin, de la solitude. Elle parla des mots qui ne voulaient plus venir, de cette fontaine secrète qui s’était douloureusement tarie.

On entendit des pas dans le couloir. Le visage maquillé d’un étrange clair-obscur, Martin surgit en réclamant son goûter, et ne sembla pas perturbé une seconde par la présence de Thomas qui parlait doucement. Il lui sourit tout de suite. De façon générale, Martin ne craignait que son père. Pendant que l’enfant dévorait une tranche de quatre-quart tout en faisant des projets de construction de château en planchettes de bois, Thomas installa son matériel de photographie. Il ouvrit la fenêtre et la bise fit rire tout le monde parce qu’elle était mordante et qu’on n’y avait pas pensé, en regarder le soleil à travers les carreaux. Même Marie s’oublia un instant à rire.

Quelques clichés. Quelques mots simples, un autre thé.

Thomas revint le lendemain, pour des photos du matin. Marie avait préparé à manger mais parlait peu. Elle ne baissait pas la garde. Thomas lui dit, alors que Martin venait de s’endormir pour la sieste sacrée – l’heure des mères – qu’elle était jolie, et que c’était elle qu’il avait envie de photographier maintenant, mais qu’il n’osait pas et qu’il ne voulait pas l’offusquer. Marie se raidit davantage et ne répondit rien. Thomas ajouta en baissant les yeux qu’il était vraiment désolé de lui faire peur comme ça. Il trouvait que ce n’était pas juste qu’une femme si douce soit égalemment si terrifiée. Il savait qu’il ne pourrait pas la guérir de sa peur avec des mots, et pourtant il avait envie de lui promettre qu’il ne lui ferait pas de mal. Il avait envie de la prendre la main, de la serrer contre lui, tout doucement, pour la rassurer,mais il n’en ferait rien, bien sûr. Il y a des choses que l’autre doit d’abord autoriser avec les yeux. Ses joues étaient un peu plus roses et il s’animait en parlant.

C’était d’ailleurs la première fois qu’il parlait aussi longtemps. Marie sourit un peu, comme pour s’excuser d’être si froide, comme pour dire que ce n’était pas lui qui lui faisait peur mais une ombre si grande que rien n’arrivait à la chasser. Elle lui dit quelques mots de cette ombre, et de ses pages blanches aussi qui la faisaient tant souffrir. Thomas dit simplement que c’était peut-être ce vide-là, tout imprégné de noirceur et de larmes, qu’il fallait raconter. Peut-être. Marie remercia Thomas avec un autre sourire, un vrai sourire cette fois, un peu triste mais venue de loin en elle. Elle lui dit que peut-être, elle lui téléphonerait.

Quand Thomas passa la porte, Marie voulut savourer le supplément de liberté que lui offrait la sieste prolongée de Martin. Elle s’assit à sa table. Alors qu’elle prenait son crayon, pleine de doutes encore, elle sentit que quelque chose en elle cessait de lutter, doucement, progressivement. Le « Il » de sa nouvelle devint immense et noir, et le morceau de verre un horrible instrument. Elle utilisa la troisième personne pour la femme aussi, ce n’était pas elle. Ce n’était pas sa vie, ce ne serait plus sa vie. Elle écrivit les blessures, et la violence qui toujours suprend. Elle raconta la terreur et le sang, et sa nouvelle, enfin, naquit. Elle ne pleurait pas en écrivant. Elle était plus concentrée que jamais, emportée par la scène atroce qu’elle créait, à partir des images si profondément inscrites en elle. C’était jubilatoire, cet état. Elle se lavait de mots, jouissait, se sentait neuve et puissante. Grâce aux mots de Thomas, qu’elle reverrait, qu’elle voulait revoir, elle le savait maintenant, « Il remarqua sur le sol un morceau de verre brisé », en ouvrant sa nouvelle, venait clore dans le feu un sombre chapitre de sa vie.

A nos petits matins

Pour E., mon amie qui rend les collines plus douces

La nuit pour le poème entrebâille sa porte et je sens se tracer, sur l’écran confus que les mots font encore à ne pas être écrits, la route entre les arbres au ventre des collines.

Nos voix dans les herbages, les ciels, les amours, tissent un fil de soie où se nouent nos questions.

Gracile comme toi, ton arbre au bord du pré, et libre et je te vois, et c’est l’aube plus douce qui poursuit le chemin.

Les virages réservent dans leur balancement des mystères touffus.

Nous ne connaissons pas tous les secrets. La beauté suffit à nos petits matins.

La sueur

Et le soleil

La maison change

Le mouvement est lent

Leurs voix

Rires

La bière

La métamorphose des pierres au prix de la sueur

 

Je regarde ces corps d’hommes que j’aime

L’eau de leurs jours s’embrase dans l’été

Ma maison est la leur ils la font

Ils offrent au morceau de colline

où nos vies se suspendent

l’avenir

 

Profite de ta sueur* disait le livre que je lisais

mais eux savent-ils?

Cette question à travers la fenêtre

alors

je cuisine  et j’abreuve  et je veille

donnant ma part

la sueur on la goûte est-ce cela l’amour qui perle sur la peau?

 

Les hommes dehors je les regarde

ils gardent le mystère de leur courage de leur fatigue

L’été seul sait bien ce qu’il y a aux entrailles des muscles

 

Je voudrais que ce mouvement soit lent encore jusqu’au repos

des corps

recommencer demain

 


*Laurent Gaudé, Le Soleil des Scorta

A vous qui êtes de tous les chantiers et dont la sueur étoile les liens qui nous attachent, merci…

Fragments d’une amitié

Nous n’avons jamais été des amies légères, Caro. Nous avons été deux enfants conscientes, dès les premières années, de la gravité des choses.  Ce sont ces regards-là, jeunes mais graves, fichés en travers de nos âmes, qui se sont d’abord reconnus, je crois. Je crois aussi que ce que nous avons appris ensemble, c’est à rire, puisque penser, nous le faisions déjà.

 Tu n’es pas mon amie légère et pourtant, ta voix a l’inflexion du soleil. La magie de me sentir chez moi dans l’accent de tes mots, et l’excitation d’y entendre chaque fois une mélodie qui demeure  – un peu – étrangère.

Ce qui est sûr, c’est que flottent dans ma vie les rayons de ton cœur.


L’eau bout pour les pâtes à l’heure du repas. Elles seront sans sauce car la seule qui vaille existe dans nos cœurs. C’était celle de quatre heures, nous nous en souvenons.


« J’ai rêvé de toi cette nuit », c’est ainsi que tu te présentes, parfois, et je sais que c’est toi.

C’est ainsi que nos pensées se faufilent – tentacules velours -dans les heures et l’espace.

Je rêve de toi ce jour-ci, je rêve de toi cette vie-là, et je n’en veux pas d’autre où nos rêves ne pourraient pas se rejoindre.


Que tu sois loin ce n’est pas vrai. Amie tu loges dans mes secondes ; elles ont ta forme et ta couleur,  et mes autres amours s’agitent en bruissant autour d’un creux secret où je peux te garder.


Quand Violette et Camille disent

Caco elles disent

Un amour d’enfant

En est-il de plus clair ?

Au solstice

Joyeux anniversaire ma belle

Au solstice

Tu as ouvert les yeux sur tes ombres d’enfant et voilà

 

Maintenant

C’est l’été

Cru qui ne pardonne rien

Surtout pas les yeux clos

 

Éclatent dans le ciel blanc

Tes trente ans

 

Image associée

Une joie simple

A mon amie miraculeuse

Ô mon amie tu es souvent une voix qui surgit

A telle heure de ma vie

Une joie

Simple

 

Notre amitié est un pays

Parfumé et profond

Invisible mais j’y vis

 

Dans l’air épais

Qui nous sépare

Il y a en suspension les atomes

De nos rires

-Tu t’en souviens ?

De nos demains

Nous y croyons

 

Ô  mon amie

Tu es lestée

Du poids

De nos pensées jumelles

Qui s’étalent en silence

Dans le bruit des journées

 

Mon présent t’est lointain

Mais son goût  se balance

A ta voix qui surgit

Fil de cœur à cœur

 

A telle heure de nos vies

Une joie

Simple

hands-1150073__340

 

Pour une union

A Eliana, mon amie, et son Guillaume

tree-779827_960_720

Les routes ignorantes

Encore

Et les pas sur ces routes

Les pieds qui s’aventurent

Aveugles

Les mains

Les cœurs

Qui s’ouvriront bientôt à l’orée d’un regard

Echangé

 

S’élisent

Qu’y pouvons-nous ?

 

Mais ce que nous pouvons

Ensuite – enfin !

– quand les corps se connaissent

C’est dire comme on s’aime

 

L’amour

Est un mot qui se prononce qui se

Proclame

 

Vous le savez – cela

Vous

Eliana et Guillaume

Vous savez dire

Ainsi fleurissent vos lendemains éclos sur l’arbre du désir

Et qu’ils se sablent encore

Du parfum du soleil

 

Amis

Vos sentiers sont bordés

De lumière

Semée à quatre mains

Semée aux quatre vents

Et que votre voyage ait l’éclat du jasmin

Blanc qui se lance à l’assaut des étoiles

L’enfant qui ne vient pas

Suite des articles:

Lune, Margot, Claire, Julie, Pierre et Amar, Lune – ch 2, Margot – ch 2, Claire, Julie, Pierre

et Amar -ch 2, Lune – ch 3, Dans la cathédrale, L’art est un prétexte, Le temps des larmes,

L’appartement n’a pas d’odeur

 

Claire et Julie – Ch 5

Les deux amies sont seules sur le quai de la gare. Les vacances rêvées ont tourné court. Elles n’ont pas encore décidé ce qu’elles feraient. Elles sont remplies des larmes de leur ami évaporé avec le jour. Elles n’ont pas bougé et n’ont rien dit tant que le grondement du train a été perceptible dans le fond de l’air bleu sombre du soir. Laisser Amar aller à son chagrin, le laisser rejoindre sa mère et que leurs pleurs puissent enfin se mêler, se répondre. La mère d’Amar vit au-delà de la Manche et cette eau qui les sépare  s’engraisse de leurs pleurs qui n’ont pas encore pu couler ensemble, mêlés, côte-à-côte. Julie est si bouleversée qu’elle ne peut plus parler. Claire dit que c’est pourtant un soulagement, que la douleur se fraie un chemin dans le corps, qu’il puisse affleurer au delà des yeux et des lèvres fermées. Et Pierre sera juste à côté de lui, tant qu’il faudra. Avec sa réserve naturelle et la vérité de sa présence.

Tu as raison, dit Julie. Comme toujours. Elles sortent de la gare, se tenant par le bras, serrées, épaule contre épaule parce que cela soulage un peu.

Le téléphone sonne dans la poche de Julie. Il est trop tard pour que l’appel soit attendu. Elle bondit. Réaction vive de toutes les mères éloignées de leurs enfants. Et si… ? La musique fluette au bout du fil la calme tout de suite. Tout va bien. Sa petite fille aux joues rondes babille quelques minutes. On ne comprend rien d’autre que l’amour et le désir plein de sa maman, la caresse de ses mots. Le cœur de la jeune mère se gonfle instantanément et déborde d’elle-même. Par son sourire, ses yeux, son pas qui s’alanguit et devient plus léger. Quelques secondes qui valent une vie de bonheur. Quand le fil invisible de la voix est rompu, la nuit se fait plus immense et l’espace plus lourd.

Claire demande des nouvelles de sa petite filleule. Elle se veut attentive mais la voix se fracasse sur son ventre à elle qui est vide. Elle raconte, pour une fois, les choses intimes qui vont avec ce vide-là, ce qui remue à l’intérieur d’elle et le sens de la vie, où est-il quand son ventre reste vide ? C’est cela son abîme, qui a grandi avec les années d’espoir, d’attente, d’angoisse, et maintenant, de douleur. Claire avoue qu’il y a en elle un trop plein de quelque chose qu’elle a besoin d’offrir. Ce quelque chose, c’est de l’amour-joie quand il trouve son objet, c’est une blessure quand il étouffe, étranglé par l’absence. La maternité ne lui est pas donnée. Pourquoi? Qu’a-t-elle donc au fond d’elle qui l’empêche, qui la prive ? Sa mère lui a toujours dit que pour faire des enfants, il faut s’aimer très fort. Son mariage, lui semble-t-il, est plus certain que le soleil du matin. A moins que… Claire ne sait même plus. Cette béance dans son ventre brouille tous les repères qui la tiennent debout.

Julie l’écoute, et la douleur de Claire s’infuse dans sa chair à elle aussi. Elle sait ce que c’est que de porter un enfant dans son ventre, de le porter dans chaque infime partie de soi-même, avec la certitude que ce poids-là qui leste la vie de bonheur ne s’allègera plus jamais, et elle ne peut soutenir l’idée que son amie, sa pure, sa limpide amie, soit privée de ce qui est donné à tant de femmes – souvent si facilement ! Mais à part tenir les mains de Claire et lui dire son amitié, que peut-elle faire ? Cette impuissance est une lame promenée sur la paroi poreuse de son cœur.

Soudain, Julie a une idée. Si on faisait exister cet enfant ? Remplir le trou de l’absence par des pensées. Les pensées de Claire pour l’enfant qui ne vient pas. Les écrire, leur donner le corps et le poids de l’encre. Et c’est Margot la spécialiste! Aller la voir, demain, lui demander son aide. Julie veut se persuader qu’il y a un salut pour son amie dans cette entreprise. Claire a l’âme si chargée de chagrin qu’elle ne sait pas. Elle veut bien essayer, puisque le périple en vélo est avorté, puisque Julie le dit, puisqu’il faut bien attraper la douleur par un bout ou un autre.

DESSIN femme foetus coeur brisé Personnages Crayon  - Femme consolant son coeur brisé

Copyright de l’image © HELENE GONNET