Je cours. Je cours dans le soir d’avril. Grandiose nature à l’heure où tout s’endort. Tout chante et rien ne bouge. Des oiseaux invisibles me saluent de leur doux pépiement. Musique du crépuscule. Je me fais discrète pour ne pas déranger ce moment d’absolu.
Je cours. Gourmande, je m’offre le ciel rose, comme une immense sucrerie. Et les collines s’étalent, rondes comme des mères. Elles veillent tendrement sur le monde au berceau. Je les sens, accueillant le bruit mat et régulier de mes pieds sur le sol. Ô rythme bienfaisant. Écho vital.
Je cours si tranquillement que j’effleure à peine le monde. Et sous mon souffle chaud, des carrés colorés se détachent. Vert dans la lumière du soir, jaune qui s’assoupit. Saveur intense et sombre de la terre toute humide. Et, funambules entre les champs, les fleurs se pomponnent sur les arbres ressuscités de l’hiver.
Contemplant l’œuvre humble et sublime du travail des hommes, je cours et me souviens.
Enfance. Sur une feuille blanche, de vagues collines toutes habillées de parcelles colorées, rayées, fleuries, étoilées. Je dessinais avec une minutie de petite fille qui s’absente du monde à force de concentration. Je dessinais, dans un bonheur très simple, et très pur, des « paysages-puzzle ».
Sacre de cet instant crépusculaire qui me rassemble. A la cadence douce du souvenir qui monte, je sens que ces échos lointains valent tous les amours et tout le bruit humain. Intime compagnie.
En moi plus jamais seule, je cours au milieu des paysages-puzzle de mon enfance.