Naviguer entre les lignes

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« Larguez les amarres ! »

Je pars, tenant serré le bord de ma petite embarcation. Je l’ai faite de bravoure –  d’aucuns diraient de bravitude (mais l’ironie moqueuse ne doit pas être de ce voyage-là – ah si ?). De bravoure, disais-je, pour affronter les monstres d’incongruitude. Mais comme du courage, je n’en avais pas des kilos, voilà qu’elle est modeste. Nous verrons bien, foi de marin – je dis foi, et non pas foie, car je ne peux pas promettre tout à fait son état, à ce foie là, après ce long voyage qui nécessitera, plusieurs fois (ou foies, ça marche aussi ici) sans doute,  une lampée de mazout, de rouquin si vous préférez – et profitons que le vent me jette  malgré moi dans l’aride océan.

J’ai dépassé les premières lignes, les voiles se gonflent d’un peu de correctitudes  qui passaient là, fortuites et bienvenues. Mais déjà, je rame ! Plus de vent ! L’île aux Délices joue à cache-cache avec l’horizon. J’avance à la sueur de mots pleins de sollicitude, et l’encre rouge s’empèse de désespoir. Un peu de café noir en attendant le vent. Gardons la bibine pour plus tard.

Je transpire devant l’attaque brutale, mais prévisible, de vagues rugissantes qui hurlent en bleu turquoise qu’il y en a assez de la syntaxitude et qu’elles veulent la libertitude (bon, bon, soyons honnêtes, respecter en lieutenant toutes les règles, toutes les consignes, toutes les contraintes, s’avère parfois répétitif, un peu pataud, et pas très beau, non ?).

Alors je rame, je rame avec mes pauvres planches vermoulues de concordances, de participes, d’accords, de synonymes, de propositions principales et subordonnées. Elles sont tristes et sérieuses. Elles tentent de ramasser, après chaque vague révoltée, les cadavres des passés simples écrabouillés.  Heureusement, le temps se lève, car c’est tristement panne sèche. Plus de mazout, de bibine, de rouquin! Plus de café non plus. Il fallait bien tout ça au cœur de la tempête.

En accostant, je savoure d’ultimes vaguelettes qui chantent la fantaisie, qui susurrent quelques mots nouveau-nés, au charme déluré. L’île aux Délices est là : terre de repos, sacrée. Je jette l’encre rouge en m’essuyant le coeur.

Fin de la correction. Mon  tout petit bateau, plus frêle que jamais, se repose au roulis des poètes. Il est bien fatigué, mais ce n’est rien, avec un peu d’humouritude, je vais lui refaire une santé.


Très grand merci à Carnetsparesseux 

Qui lança le jeu

et puis à l’écri’turbulente

Qui accueille des bateliers la chanson lente!

MON COUP DE COEUR pour un autre voyage chez Frog

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