SymbiOse – Erri de Luca

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Vendredi soir, opéra de Saint-Etienne avec  une petite troupe de collégiens.

SymbiOse = L’orchestre symphonique OSE + Aligator (Abdelwaheb Sefsaf, Nestor Kéa et Georges Baux)

SymbiOse est un spectacle qui ne peut nous laisser tranquillement s’assoupir dans une émotion continue: de l’harmonie étrange des compositions orchestrales, Abdelawed Sefsaf se nourrit pour nous renverser le cœur et le porter aux étoiles. Il chante des compositions métissées, mélancoliques ou complètement déchainées. Il ne nous laisse pas en paix. Au milieu de ces variations qui font se répondre Orient et Occident, des textes qu’il lit en nous regardant fixement, sans bouger. Les mots s’emparent de tout l’air que l’on respire et voilà: Mahmud Darwich, Taha Muhammad Ali, Erri De Luca, font résonner le chant des réfugiés du monde, ceux dont la vie est une route semée de sang.

Les fabuleux musiciens de l’orchestre, et Aligator, disent le chemin entre deux mondes, ce long chemin d’épines… Au bout pourtant, au bout, il y a la rencontre fabuleuse, créative, dont SymbiOse est un fruit. On ne sort pas indemne de larmes ni de joie de ces deux heures de spectacle. Quelque chose en soi se défroisse et grandit.

Ce qui augmentait encore la dimension de ce spectacle, pour moi, c’est que j’ai collaboré l’année dernière avec Abdelawed Sefsaf dans un projet d’écriture et de mise en scène pour une de mes classes. Ce que je ne pouvais m’empêcher d’avoir à l’esprit, c’est la grandeur d’âme, la générosité de cet artiste hors norme, la façon dont il a transporté mes élèves bien au-delà d’eux-mêmes. Sa musique et sa voix étaient doublées, ce soir, de l’écho profond de l’engagement, sincère et quotidien.

Voici un extrait du dernier poème lu (Erri de Luca) et qui m’a fait marcher dans les semelles opiniâtres de ces peuples en route.

Aller Simple

Six voix
Ce ne fut pas la mer à nous recueillir
Mais nous qui recueillîmes la mer à bras ouverts

Descendus des hauts-plateaux incendiés par la guerre et non pas par le soleil,
nous traversâmes les déserts du Tropique du Cancer.

Quand la mer fut en vue depuis une hauteur
c’était une ligne d’arrivée, une embrassade de vagues sur les pieds.

C’en était fini de l’Afrique semelle de fourmis
les caravanes apprennent seules à piétiner.

En colonne, fouettés par la poussière,
seul le premier doit lever le regard.

Les autres suivent le talon qui précède,
le voyage à pied est une piste d’échines.

Récit individuel (extrait)
Avant de la voir, depuis des jours, la mer était une odeur,
une sueur salée, chacun s’imaginait sa forme.

Elle sera un croissant de lune couché, elle sera comme le tapis de prière,
elle sera comme les cheveux de ma mère.

Qu’était-elle en réalité ? Un ourlet enroulé à la fin de l’Afrique,
les yeux éblouis de miroirs, des larmes de bienvenue.

Sur la plage, nous buvons le thé des Berbères,
nous faisons cuire des œufs dérobés aux oiseaux blancs.

Des pêcheurs nous offrent des poissons lumineux,
nous suçons la pulpe des squelettes d’arêtes transparentes.

Le vieux à côté du feu discute avec les marchands
du prix pour monter sur la mer de personne.

(…)

Nuit de patience, la mer voyage vers nous,
à l’aube l’horizon se noie dans la poche des vagues.

Dans notre entassement avec les femmes au milieu,
un enfant meurt dans les bras de sa mère.

Quel meilleur sort que la fin dans un giron,
Ils le tendent aux vagues, un chant à voix basse.

la mer engloutit dans un rouleau d’écume
la feuille tombée de l’arbre des hommes.

(…)

Ils veulent nous renvoyer, ils demandent où nous étions avant,
quel endroit nous avons laissé derrière nous.

Je leur montre mon dos, c’est tout le derrière qu’il me reste,
ils se fâchent, pour eux ce n’est pas une deuxième face.

Nous nous honorons la nuque, là où se précipite l’avenir
qui n’est pas devant, mais qui arrive par derrière et nous dépasse.

Tu dois rentrer à la maison. Si j’en avais eu une, je serais resté,
même les assassins ne veulent nous reprendre.

Remettez-nous sur le bateau, chassez-nous en hommes
Nous ne sommes pas des paquets et toi Nord tu n’es pas digne de toi-même

Notre terre engloutie n’existe plus sous nos pieds,
notre patrie est une barque, une coquille ouverte.

Vous pouvez repousser, mais pas ramener,
le départ est une cendre éparse, nous sommes des aller-simple.

Choeur
Nous sommes les innombrables, nous doublons à chaque case de l’échiquier,
Nous pavons votre mer de squelettes pour marcher dessus.

(…)

Nous serons vos serfs, les fils que vous ne faites pas,
nos vies seront vos livres d’aventures.

Nous portons Homère et Dante, l’aveugle et le pèlerin,
l’odeur que vous n’avez plus, l’égalité que vous avez subordonnée.

Choeur
D’aussi loin que nous arriverons, à des millions de pas,
ceux qui vont à pied ne peuvent être arrêtés.

Prochaine date connue:

21/11/17 – Centre Culturel Aragon – Oyonnax (01)

Mais ensuite, guettez donc cette symbiOse!