Atelier

Il y a quelque temps, au théâtre des Clochards Célestes à Lyon, le collectif des Poètes à la Rue organisaient une scène ouverte, précédée d’un atelier d’écriture. J’ai participé aux deux. Cela a été mon seul geste tendu vers l’écriture de ces derniers temps. Depuis j’ai beaucoup lu, beaucoup travaillé, beaucoup dansé. L’écriture reviendra  plus tard, peut-être.

J’ai bien aimé le principe de l’atelier: il y a avait des phrases augurales de romans d’un côté, et des phrases finales d’autres romans de l’autre côté. Dans un temps donné (pour moi environ 20 minutes, et c’est le plus difficile), il fallait choisir une phrase augurale et rejoindre, d’une façon ou d’une autre, une des phrases finales. 20 lignes maximum.

J’aimerais vous proposer l’atelier à vous aussi, mais je n’ai pas gardé trace des phrases proposées. Ce sera peut-être l’objet d’un billet prochain, après que j’ai sélectionné quelques phrases pour vous!

Voici ma petite production instantanée (il ne s’agit pas ici de se déverser, le je est un je fictif…):

Ça a débuté comme ça.*

Comme ça, je vous dis. Pas autrement. Ça aurait pu, d’ailleurs. La vie, n’est-ce pas d’abord une histoire de hasard? Une bourrasque de vent blanc dans les feuilles d’un arbre, et le mouvement qui se fait, soudain, entre les branches, et l’argenté végétal qui se révèle dans le chuchotement du souffle?

Bref, ça a commencé comme ça, ma vie. Affolement général, d’après ce qu’on m’a dit. Des pas précipités dans un couloir, des blouses bleues, des larmes aussi, j’imagine. Une belle frousse pour commencer. Ou à peu près.

Miraculée. Ça a fait une jolie étiquette à me coller sur la trogne, plus efficace et plus romanesque qu’un état civil. Il ne me restait plus qu’à bien tenir le rôle. Le rôle exigeant de la veinarde. Sagement.

Je ne m’en sors pas si mal, apparemment. Je ne suis pas plus, pas moins vaillante qu’une autre, mais bon, jamais un pas de côté, jamais un mot manqué… Tu parles! Est-ce qu’on m’aimerait encore si je laissais le rôle à une autre pour aller rêver un peu sur la ligne brisée du monde?

Il faut dire qu’il y a  des jours où je suis un peu fatiguée, vous savez. J’aimerais  bien être libre de tout gâcher, si je voulais. Seulement, une belle étiquette comme celle-là, ça ne s’abandonne pas d’un haussement d’épaule, si?

Quand même, que naitrait-il de beau, de neuf, si j’oubliais un seul instant que j’avais eu, un jour, de la chance? Un poème? Je me disais, l’autre fois: la vie, voyez vous, ça n’est jamais si bon, ni si mauvais qu’on crois.**

*Céline, Voyage au bout de la nuit,

**Maupassant, Une vie



Après il y a  eu la scène slam et c’était vivant et drôle, et parfois vraiment magnifique!

La prochaine session aura lieu ce dimanche 9 juin au théâtre des Clochards Célestes.

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Margot

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(suite de l’article Lune)

Margot jette la plume. Il est temps de vivre maintenant. Saisir la matière et boire le bouillon chaud du monde. Cesser les mots et les yeux en l’air. Il faut vivre, cesser de penser et vivre. C’est terminé, elle n’écrira plus et tous ses personnages sont plantés là au milieu de nulle part. Tant pis pour eux. Ils sont incapables de réalité de toute façon, dépourvus de bras qui consolent et de l’odeur âcre de la sueur. Ils sont plats et mous comme des feuilles de brouillon : elle les déteste, soudain.

A moi la vie, se dit Margot en quittant sa table de travail. Elle se tourne pour regarder la pièce dans laquelle elle vit recluse depuis… oh elle ne pourrait dire. A-t-elle seulement vécu ailleurs ? C’est sale, pense-t-elle, et pas uniquement dans les coins. Les cartons s’entassent et les meubles ploient sous les caisses remplies d’un bric-à-brac qui lui semble  maintenant parfaitement étranger. Sa vie… est-ce vraiment cette pauvre pièce meublée sans élégance, encombrée, poussiéreuse ? Quelle misère ! Mais il est encore temps de réagir. Elle saura remettre de l’ordre, s’occuper des choses et laisser les mots. C’est le roman qu’elle était en train d’écrire qui, paradoxalement, lui a fait réaliser qu’écrire la séparait d’elle –même. La vieille dame a compris que, comme Nox, son personnage, elle ne savait rien d’autre que les mots qui naissent sous son crayon. Et rien d’autre ne lui a tenu compagnie. Personne ne l’a embrassée avec force, personne n’a plus eu, depuis sa mère, ce geste tendre de la paume sur sa joue, ce geste pour lequel l’humanité entière pourrait se mettre à genoux. Personne. Comme une longue épine, la solitude creuse un minuscule sillon dans ses entrailles douloureuses. Margot se tient le ventre. Depuis combien de temps n’a-t-elle plus aimé personne ?

La romancière poursuit son examen en traversant sa maison. Elle a l’impression de la voir pour la première fois. C’est un triste miroir. Des manuscrits et des livres reliés s’entassent dans les coins des pièces. De la vaisselle sale. Peu de lumière. Margot se voit à travers ce désordre comme une dame fanée qui s’est laissé empoussiérer par les années. Rien à voir avec la vigueur fictive de ses héros, leur désir de vivre et leur capacité d’action. Et leurs amours ! Elle a créé des fantômes en épuisant sa propre énergie vitale, elle n’est qu’un beau gâchis qui traine maintenant ses cheveux gris et son visage plissé vers une issue privée de sens.

Margot voudrait conjurer le temps perdu et la solitude. Elle rejoint le centre ville et ses terrasses pleines de gens vivants, se baigne dans les bruits humains, se laisse heurter, bousculer par les passants, sent la chaleur de la chair. Une heure de marche dans les rues claires, elle met ses sandales dans les flaques et du regard, elle désire maintenant que ces étrangers qu’elle croise lui livrent leur secret. Ils ont tellement l’air de tenir le monde dans leurs mains, ces quatre jeunes gens qui rient sur leurs vélos.

Dans la cour du Musée des Beaux-arts, la vieille femme se laisse surprendre par le cèdre gigantesque dont elle avait oublié les dimensions miraculeuses. Deux siècles d’humanité ont passé sur ses racines et sous ses branches. C’est lui qu’il faut prier de raconter le mystère d’une vie saisie dans sa plénitude. Margot s’assoit à son pied. Elle essaye de ne pas penser et de percevoir les vibrations salvatrices de l’arbre monter en elle. Être un corps, pour une fois !

En se relevant pour partir – elle veut acheter, avant la fermeture des boutiques, un dessert pour le soir dans la meilleure pâtisserie de la ville (non qu’elle y soit jamais allée mais les commentaires d’un passant ont réveillé sa gourmandise endormie) – elle aperçoit une très jeune femme couchée en chien de fusil sur un banc. Ses boucles brunes sont aussi négligées que ses cheveux gris à elle. Son cœur se serre à la constatation de ce lien silencieux entre celle qui semble presque une enfant et qui a devant elle une longue jeunesse pour renouer avec la vie, pour combler ses failles, et elle, vieille femme ayant usé ses  belles années à poursuivre des chimères. Elles ont les cheveux épars en partage. Leurs solitudes sont-elles faites de la même matière?  Margot glisse déjà vers les conjectures romanesques : ce serait un beau personnage, cette demoiselle recroquevillée sur son mystère, couvée par le grand cèdre. Alors, pour chasser le roman qui nait inexorablement en elle, l’auteure  sort de la cour pour rejoindre les rues que le soir d’été anime d’un surcroît de douceur.

(à suivre)

Lune

 

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L’odeur de la grosse pluie d’été, joyeuse et brutale, accueille Lune à la sortie de la gare. Cela sent la forêt traversée par l’orage. Pourtant, et c’est un mystère, elle est au cœur  de la ville blanche semée de vieilles briques. Le tuffeau a ce doux éclat qu’aucune autre pierre n’imite. Les toits d’ardoise scintillent sous le soleil ressuscité, encore humides. Voilà une ville toute propre, lavée de pluie. C’est parfait, pense Lune qui a jeté son passé sur les rails du train. Elle se veut  neuve comme la ville qui sent la forêt mouillée. Errance dans Tours la Douce.

Adieu à tout ce qui précède. Adieu la fac et ses copines de circonstance. Adieu Toma, et puis ceux d’avant lui aussi. Adieu la téquila des jeudis soirs. Adieu sa mère le cœur brisé. On l’a enfoncée dans un trou, sa mère – c’est une petite fille qui lui a dit cela après les funérailles et cela l’a brûlée comme le fait toujours la vérité. Béance insupportable du monde sans sa mère. Sa drôle de mère qui croyait en la bonté avant toute chose, aux énergies des âmes et aux cœurs purs. Qui faisait brûler de l’encens à en pleurer pour purifier l’air des mauvais regards. Qui vivait de rien, dans une cabane au bord de l’eau. Sa mère dont le creux de la main tenait sa joue d’enfant ensommeillée. Adieu sa mère. Lune doit laborieusement renaître à ce monde terrible, que l’odeur de patchouli brûlé ne sauvera plus de rien, ou mourir.

L’orpheline se glisse dans la ville claire, dans ces rues qui ne la connaissent pas. Elle se laisse se dissoudre, déambule vers le hasard qui ne l’attend pas. Rien ne l’attend. C’est ce qu’elle est venue chercher : du silence. Et qu’on la laisse aussi se taire. Elle a tout donné, les affaires de sa mère, et les siennes. Puis elle n’a plus voulu entendre personne. Taisez-vous, le monde. Laissez-moi au néant qui m’a conquise. Je l’épouse. Taisez-vous, amies jacassantes et laissons la vacuité de vos rires. Taisez-vous, professeurs encravatés à en vous en asphyxier, vous qui traduisez des textes du douzième siècle comme si vous sauviez la planète. Taisez-vous, vous tous qui me parlez d’avenir. Je n’en veux pas ! Je n’existe plus.

Lune a tout donné et pris un train. Toma a pleuré. Tant pis. Adieu.

Bonjour  Tours la Blanche et tes façades élégantes. Bonjour Tours, vierge de toute trace de ma vie.

Lune ne s’égare pas, puisqu’elle n’a pas d’autre but que de marcher en silence. Sentir la forêt dans la ville. Elle ne parlera à personne. Fermement. Elle ne veut pas donner au monde de raison pour venir jusqu’à elle. Attendre, invisible.

Des enfants jouent dans le square qu’elle traverse. Et quatre amis passent à vélo, juste devant elle, au passage piéton. Ils rient si fort que plus rien n’existe d’autre que leur joie. Elle se fond dans ces rires sonores, s’en nourrit un instant, puis s’engage sur les bandes blanches et noires. En face il y a un cèdre du Liban aux dimensions impensables. Il s’étale dans la cour pavée d’un musée. Planté en 1804, il pourrait faire croire à l’immortalité. Lune voudrait bien se mettre en boule, comme un petit animal, et se nicher dans l’une de ces grandes branches dont elle sent qu’elles seules connaissent son histoire. Mais elles savent se taire et seulement soigner  les plaies ouvertes à la force de leur majesté. La jeune femme se sent maintenant comme la fille des grands arbres de la terre – elle qui n’a jamais su qui était son père. Si on ne la chasse pas, elle dormira là ce soir. Elle se laissera bercer comme une enfant par le chant silencieux et bleuté de l’arbre prodigieux.

Une voix sans musique surgit à quelques mètres. Lune découvre une femme aux cheveux décolorés qui dépense sa colère dans son téléphone portable.

« Tu ne me retiens pas ? Ah oui ! Alors dégage sale … »

La rage d’être abandonnée quand elle voulait tester sa puissance fait déverser à la blonde inconnue une pluie d’insultes et de larmes. Elle serre trop sa cigarette qui s’écrase sous ses ongles vernis. Lune sent bien qu’il y a une monde entre les mots, les ongles, les cheveux, la robe trop moulante de cette femme et ses boucles emmêlées à elle, son vieux sac à dos et son jean élimé. Pourtant, au bord la fosse qui les sépare, elle voit que la vulgarité n’ôte rien à la douleur. Elle voudrait la prendre dans ses bras comme une petite fille, cette inconnue. Ne rien lui dire et lui caresser les cheveux, jusqu’à ce que tout disparaisse : la décoloration et la french manucure, la robe en nylon et les mots grossiers, qu’il ne reste que les larmes. Elles pourraient être sœurs alors, juste le temps des larmes. Mais la femme quitte la cour du musée et l’ombrage du cèdre en jurant.

Combien de temps faudra-t-il pour qu’elle soit à son tour abîmée par la ville ? Combien de temps faudra-t-il pour qu’elle pleure elle aussi de rage après la première trahison ? Lune interroge le temps qu’il lui reste avant que la réalité ne la prenne d’assaut à nouveau. Elle voudrait rester à la frontière de sa vie… Elle n’a plus l’air que d’une enfant maintenant qu’elle se recroqueville pour oublier qu’elle devra vivre, et nécessairement, pleurer encore, parler, aimer – ou peut-être qu’elle ne pourra plus. En attendant, elle veut dormir et ignorer que demain ne lui laissera pas le choix.

(A suivre)