Il faudra bientôt rallumer les calorifères

Les mots du soirs étaient:

Perséides – centaures – hirsute – anophèle – entonnoir – recaler – calorifère – Arlequin – jardinet – ciboulette

Nous sommes bien amusés, encore une fois!


 

Le secret du matin s’est évanoui plus vite que les perséides, caressant à peine sa tête hirsute. Il faudra bientôt rallumer les calorifères. Seule pensée assortie sourdement à la déception d’avoir manqué l’aube. Enfuies les rêveries de l’entre-deux mondes! Les centaures sont passés, Arlequin a eu le temps de s’effacer tout à fait. Il n’y a plus que le jour cru qu’il faudra boire, à l’entonnoir, si nécessaire!

Une anophèle l’agace, vague menace dans le silence de cette fin d’été. Elle regarde dehors. Le jardinet est jaune. Tout a grillé. Il faut dire qu’elle n’a fait que rêver, au lieu d’arroser, recalée qu’elle aurait été à l’examen de la bonne jardinière!

Elle se prend maintenant à regretter la pluie dont elle a oublié le goût et le bruit, comme les odeurs mêlées d’herbe mouillée, de menthe et de coriandre. Et la délicatesse des feuilles! Et la détermination de la ciboulette! Souvenirs de printemps avant le grand feu de juillet et d’août… Il est temps, finalement, que septembre revienne!

A quand un poème?

Pour Eliana

 

A quand un poème?

 

Question amie

 

Dans l’herbe de la nuit

j’entends des nœuds humides

qui se défont

 

Cessons de parler d’autre chose

 

Au secret du jardin

monte patiemment le silence

de la sève

 

Des poèmes se trament

où nous savons nous taire

 

La cloche fêlée du perroquet

Il faut voir la scène. Une scène de printemps dans les jardins du temps.

 Les iris sont en fleurs, tout autour, et cela fait une haie tendre et déjà un peu haute, pour une enfant assise. L’herbe est tondue d’une semaine, confortable, fleurie de toutes petites fleurs. Derrière, éclate un laurier fraîchement planté et la terre est bien noire à son pied. Voilà pour le décor. Il y a aussi un peu de vent, il ne fait pas trop chaud.

L’homme, c’est mon père ;  il a jardiné un moment, déplacé, repiqué, imaginé l’harmonie des couleurs et des feuillages qu’on ne peut pas encore deviner, parfois. Ce petit monde est vaste en beauté et en mouvements subtiles qui vont avec les ans. Les choses changent au fil des envies, et c’est si beau de voir le jardin devenir. Dans la famille, faire un tour de jardin est une promenade en soi. On s’attarde, on regarde les plantes qui sont parfois anciennes comme l’enfance. Les nouvelles venues sont toujours un peu les vedettes, mais elles émeuvent moins. Il y a le muguet qu’on connait bien et qui s’étale depuis longtemps, toujours à l’heure, et les lilas en bosquet qui nous appellent, exigeants, de toute leur senteur,  et le tapis de fleurs de marronnier : on lève la tête vers le grand arbre aux cônes et tendres et fiers. Le rhododendron s’obstine, devant l’entrée,  à fleurir, mais on voit qu’il est vieux et sa mine est plus grise. On l’aime presque mieux ainsi.  L’azalée à son pied lui fait un peu la cour. Les pots de petites herbes, et le thym tout en fleurs qui conquiert son espace, toujours. Les gouttes de sang, les boules de neige, le petit pêcher sauvage et les quelques autres fruitiers. Y aura-t-il des mirabelles ? Il y a aussi toutes les plantes dont on espère les fleurs : les très petits rosiers de grâce dont les feuilles sont si délicates et les tiges sans épine. Comment seront leurs fleurs ? C’est une joie de les attendre, devinant les boutons, ou une embrasure verte au creux des tiges, qui n’est encore qu’une promesse.

La variété du vert, du mouvement des tiges, de l’élancement des feuillages,  est aussi délicieuse que le vent et les fleurs, et que les souvenirs. Ici je me souviens que j’ai appris à faire le nœud de mes lacets. Ici le cerisier, la maison de mes jeux. Ici ma sœur ;  ici, ma joie passée.

Il faut voir la scène, donc, dans ce jardin-là, précisément. Sur une poutre en bois entre les plantes et l’herbe, le jardinier s’assoit, ayant posé sa fourche. Il souffle un peu et l’on discute. Le jardin délivre, ou convoque, la parole.  Violette, qui fleurit ses cinq ans, s’approche et vient cueillir les genoux de son grand-père qui disent bienvenue. Et dans son babillage arrive – comment ?- le perroquet. Et le perroquet devient dans la bouche de mon père, le fameux perroquet sous sa cloche de verre, dans la grande maison du bord de la rivière.

-L’as-tu vu, ce perroquet, dans la maison d’Aulueyres?

-Non…

-C’était le perroquet de mon papa.

Violette s’interroge : comment est-ce possible que son pépé ait un papa ? Cet homme-là est mort. Autre mystère. Et, plus incroyable encore, cet homme qui est mort fut, un jour, un enfant ! A moi aussi, cela semble impensable. La raideur d’esprit de cet homme qui jamais ne m’a fait monter sur ses genoux, son sérieux et sa dureté affichée sont tellement étrangers à  l’enfance.

Mon père nous raconte : son père était l’ainé dans la maison du moulinage. Il allait à l’école, à pied bien sûr. Il longeait la route qui surplombe la rivière, pendant un kilomètre, atteignait le village, puis la petite école. Avec peut-être la même fraicheur et la même joie que mes filles aujourd’hui : comment le concevoir ?

La voix de mon père s’accorde au mouvement des feuilles. Il y a des silences et des frémissements. Violette se tient muette comme je suis perplexe. L’enfant d’Ardèche va donc  à l’école et apprend, récite, calcule. Puis il rentre et sur le chemin du retour, à la sortie du village, il y a une petite maison et une dame qui l’habite. L’enfant s’arrête et la salue, lui  chante les chansons qu’il connait. Chaque jour, il s’arrête gaiment et il chante. La dame est très heureuse de cette visite quotidienne, et l’enfant s’attarde un peu, sans doute parce que la vieille dame possède un perroquet. Ce perroquet est  comme on l’imagine, superbe, multicolore et dans une cage haute. Il lui parle, le caresse, et repart quelquefois, comble du bonheur, avec une plume tombée. La vieille dame promet : quand mon perroquet sera mort, je te le donnerai. Drôle de promesse.

L’enfant grandit, la dame vieillit, et le perroquet meurt. La promesse est tenue. L’enfant se voit offrir l’oiseau superbe, empaillé, sous une cloche en verre.

Imaginez la petite fille sur les genoux de son grand-père. Une telle histoire comme ça racontée au milieu du jardin. C’est un ballet d’images, un puits de rêveries. Elle ne dit plus rien, tout se passe maintenant à l’intérieur d’elle-même. Rareté de ce silence plein.

Je songe, quant à moi, à cet enfant devenu, bien plus tard, mon grand-père. Un homme à la peau dure et au cœur sans souplesse. Mécanique grippée des sentiments. Si la nature est belle, ai-je besoin d’aimer autre chose que la terre ? Mon grand-père laissait les affections vivantes et toute mièvrerie à ceux qu’ils méprisaient. L’Ardèche seule est digne, et les aïeux qu’elle a portés.

Pourtant le perroquet, sous sa cloche de verre, n’a jamais quitté sa maison. Il poursuit cette enfance au-delà de sa tombe.

Mon père raconte enfin qu’il a fêlé la cloche, un jour de grand ménage. Il s’en veut nous dit-il car la cloche était fine. Mais une autre fêlure loge toute intérieure dans sa voix qui raconte. Je pense à Baudelaire qui dit dans un poème« Moi, mon âme est fêlée ».

Il faut la deviner, ou bien la partager, cette fêlure secrète. Fêlure de n’avoir jamais rencontré, derrière le masque amer que nous avons connu, cet homme-là  qui conserva, sensible,  le perroquet de son enfance.

 

 

Le cadeau des voisins

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Dans la caisse généreuse que vous tendez

Les fruits d’été gorgés d’eau et de terre nourrie

Des mains sans peur qui s’y plongent et la prient :

D’un lien très simple ils sont  les gages consacrés.

 

Offrande rouge foisonnante dans le seau bleu

Faite à nos corps bénis de soleil et de pluie,

Fraises vous colorez le monde comme un jeu

– Cache-cache sous les feuilles, secrets abris.

 

Pour le rouge et le blanc et le sucre fondant

Des desserts alanguis à l’ombre des tilleuls

Odes se font en chœur nos silences gourmands,

Tandis qu’abondamment se dressent les glaïeuls.