Naïve!

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Clémence petit fille voyait le monde en bleu, comme à travers un filtre de douceur et de  bonté, et cela attendrit d’abord ses parents qui s’agacèrent ensuite de ce qu’ils nommèrent naïveté ; ils voulurent ôter la délicate gaze – dangereuse selon eux devant les yeux de leur petite – et la forcer à voir le monde cru ; elle ne supporta pas la laideur qu’il lui fallait accepter de contempler pour ne plus être une enfant, on lui avait arraché son regard, ôté ce qui faisait sa joie : les couleurs, la pureté, la brillance, ce qui était intense à en pleurer ; on lui avait fait deviner les grimaces derrière les sourires, et les gifles derrière les mains tendues et les tourbillons noirs au fond des corps clairs, il n’y avait plus rien qui ne soit entaché de sa profondeur, et Clémence avait perdu sa croyance en la surface heureuse du monde et c’était insupportable d’y renoncer ; elle devenait puits de larmes déçues, elle s’éteignait en adulte suffocante, refusant de respirer l’air dont elle sentait trop maintenant qu’il était vicié ;  alors, au bord de l’asphyxie, son âme du fond des temps eut le sursaut vital et lui rendit son cœur ouvert : elle se cabra contre la réalité pour voir mieux le monde vrai, et elle qui n’avait pas foi en Dieu choisit de voir impérieusement les diamants au milieu du charbon, d’avoir foi en toute humanité, en toute plante poussée libre, en toute source cadeau de la terre et des roches, en la perfection des sous-bois sombres comme les enfers et tachés de lumière, et dont elle puisait comme une consolation intime l’odeur de la sève des pins, seule façon pour elle de ne pas perdre la possibilité de vivre encore un peu abreuvée de beauté.

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Deuxième participation à l’agenda ironique selon la belle consigne de Joséphine: la perte en une phrase.