Éveil

 

Résultat de recherche d'images pour "nuit noire"Son sommeil est épais. Sans grâce et sans rêve. Un trou consécutif à l’épuisement. On ne poserait plus de regards amoureux sur ses courbes ayant bataillé avec les draps et qui se reposeraient à présent, toujours belles,  invitant l’œil -ou les mains- à la caresse. Son corps est une masse informe, abandonnée à la fatigue. Ses hanches sont trop larges, sa peau éteinte. Sa chair s’écrase, molle, sur le matelas.

 Ce qui est terrible, c’est que dans son sommeil sans conscience, la seule part d’elle-même qui survit à la nuit est convaincue de sa laideur.

Le jour, il n’y a pas le temps de réfléchir à soi. Elle se sent de plus en plus laide mais ce n’est jamais le moment de s’en préoccuper. Au milieu des repas à préparer, du ménage, du travail, des courses à ne pas oublier, des tas de linge à laver qui semblent ne jamais finir, des bains, des histoires à raconter, des chamailleries à réconcilier, des bobos à soigner, des chagrins à consoler, des cœurs à comprendre, des crises de nerfs à accompagner vers le calme, des parties de Domino – qui ne sont pas les mêmes que celles de Oudordodo, bien différentes encore des Dobble endiablés, autres enfin que les listes infernales du Boggle-  des dessins à admirer et des résidus de frénétiques découpages à ramasser, et sans compter les dîners avec les amis et les soirées qu’elle maintient parce qu’avoir des enfants ne doit pas l’empêcher de vivre ni d’avoir de l’attention pour les gens qu’elle aime – d’ailleurs c’est peut-être un problème, elle aime beaucoup et beaucoup de monde, elle ne veut négliger personne, imaginez – bref, au milieu de tout cela, elle n’a pas le temps de se regarder le nombril. Seule la nuit lui tend, par la main traitresse du sommeil, le miroir de la vérité.

 Elle dort, étalée, reprenant dans le silence la stricte quantité  d’énergie nécessaire pour survivre à la prochaine journée. La bouche entre ouverte. Aucun homme ne la regarderait. D’ailleurs son mari a beau l’aimer, il dort, lui-aussi. Cela fait bien longtemps qu’il ne l’a pas vue dormir. Heureusement, peut-être.

Ce n’est pas encore le petit jour. Satanée saison où la nuit s’invite dans les journées ! A l’autre bout du couloir, les gonds d’une porte grincent. De très légers frottements sur le parquet. Fin du sommeil de plomb. La mère ne peut encore faire le moindre mouvement, mais son esprit, animé par ce qui remue dans son ventre, est revenu de l’inconscience. État amorphe et pourtant déjà tendu de vigilance.

De quels pas ces frottements sont-ils le fruit ? Ils sont si légers que ce ne peut pas être l’ainée, mais la cadette. Va-t-elle aller à la cuisine ? Il y a des couteaux dans les tiroirs. Peut-elle les atteindre, les tiroirs ? En aura-t-elle l’idée ? Et si elle se cognait à l’angle de la grande table, trop troublée encore par le noir de ce matin d’hiver, ou part ses cheveux longs tombant devant son visage ? Elle pourrait glisser sur le carrelage, elle n’a pas ses chaussons… Ne va-t-elle pas avoir peur, toute seule dans la grande maison? Il n’y a pas de volets ici, pas d’éclairage public non plus. La nuit ne se gène pas pour entrer chez eux.  La mère n’a pas encore fait trembler un seul cil – elle en est incapable – mais ses pensées tourbillonnent, tendres et inquiètes, prévoyantes. Bonjour à sa vie.

Les pas sur le parquet ne se dirigent pas vers la cuisine. Il ne lui a fallu que deux ou trois secondes pour le déterminer, et pour que naisse puis s’évanouisse cette première volée de questions. Les frottements sont presque des frôlements, des gestes tendres, des caresses. Leur chuchotement grandit dans la pénombre et chuinte la porte de la chambre timidement ouverte. Cette fois, la présence de sa toute petite fille de deux ans et demi  dans la chambre transforme la nuit en aube. Il y a  un soleil qui monte dans son cœur. Elle ne bouge toujours pas : curiosité gourmande de laisser l’enfant exister dans l’ignorance de son regard. Va-t-elle parler ? Réclamer son biberon ? L’appeler d’une voix déjà pleine du jour ? Ou seulement souffler « Maman ? » ?

Le visage de la petite ne s’offre qu’entre deux longues mèches noires, il y a une flamme sombre et douce dans ses yeux, elle tient son doudou dans une main. Elle s’approche du grand lit, encore plus lentement qu’elle n’a traversé le couloir. Son souffle est comme une plume qui ne tombe pas vraiment, qui se repose imperceptiblement dans l’air. Elle contemple sa mère. Sa mère feint de dormir, mais son cœur voit très clair. La fillette pose sa main sur la joue maternelle. Sa main a le grain et l’odeur de l’amour. Suspension.

Les pas ténus vont à rebours dans le couloir, pour ne pas l’éveiller, sans doute. Suprême délicatesse des enfants, toujours inattendue.

Évidemment, elle se lève. Elle a laissé à la nuit ses complexes et se livre à la journée qui commence.

 

Lune – ch 3

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Claire, Julie, Pierre et Amar -ch 2 ,

Margot – ch 2,

Lune – ch 2,

Claire, Julie, Pierre et Amar,

Margot,

Lune


Son carnet se remplit. Liste sans cohérence, en toute harmonie.

Recherche tourneur-fraiseur. CDI. Expérience souhaitée.

Mère de trois enfants cherche une jeune fille pour faire la sortie des classes et aider aux devoirs.

Maison de retraite recrute une animatrice motivée et dynamique. BAFA exigé.

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Nous recrutons une vendeuse en boulangerie. Salaire à débattre.

Femme de soixante-dix ans cherche dame de compagnie. Aime la culture, le théâtre, le cinéma, la nature, la lecture. Appelez-moi.

Suivent bien sûr, à chaque fois, les numéros de téléphone. Lune s’amuse de tous ces chiffres griffonnés à la hâte et qui ont l’air de s’appliquer à créer du désordre sur la petite page. Elle aime les surgissements impromptus du chaos qui dort sous la surface bien ordonnée des choses. Elle scrute toutes les vitrines, les devantures des boulangeries et des agences d’intérim, et les portes des immeubles et tous les panneaux d’affichage. Elle marche, attendant qu’un signe lui soit fait. Cela fait maintenant trois jours qu’aucun son n’est sorti de sa gorge.

L’enfant comme un caillou tombé du ciel lui écrase brutalement les pieds, lui cogne les genoux. Plongée dans son carnet, marchant le long de la très minérale rue Nationale, elle n’a pas vu venir au devant d’elle le petit météore, comme né de la pierre, surgi des murs ou du trottoir. Elle ne pousse même pas un cri de surprise, sa bouche s’entrouvre mais s’en échappe seulement du silence. L’enfant ne s’excuse pas. Il la dévisage. Il doit avoir douze ans. Il lui dit qu’elle est mal coiffée et que son pantalon est troué, qu’elle a l’air bizarre. Il parle trop fort et se tient trop près. Lune recule d’un pas, il avance. Les questions se bousculent. Et puis, pourquoi ne parle-t-elle pas. Où tu vas. Tu écris quoi dans ton carnet. Moi je vais chercher de la terre au bord de la Loire parce que, tu comprends, mes parents ne me font pas de cadeaux à Noël – mais je m’en bats les steaks – mais ma grand-mère, elle m’a quand même acheté un microscope, alors je regarde dans la terre. J’aime bien la terre parce que c’est noir et mouillé. Ma mère déteste. Elle dit que je lui fais trop de lessives. Je veux être agriculteur. J’aurai ma ferme, comme mon père. Sauf que lui ça n’a pas marché, il est maçon maintenant. Je ne l’aime pas trop mon père, de toute façon.

Lune chavire. C’est trop d’un coup mais c’est peut-être ce qu’il lui faut. Le fameux signe. Elle se tait encore, elle ne bouge pas. Elle écoute le gamin. Elle le regarde : figure asymétrique, légèrement. Les cheveux presque roux, taillés en brosse, assez grossièrement. A la tondeuse, sans doute, parce que c’est pratique, rapide et que cela ne coûte pas cher. Les oreilles sont au vent, les tâches de rousseur étoilent son visage. Lune a du mal à le supporter, il lui marche encore sur les pieds, il est grossier et agressif. Monte cependant en elle le sentiment d’une adoption irrémédiable, qu’elle ne peut pas le laisser aller à sa vie. D’ailleurs, il ne la lâche pas. Le temps s’étire dans ce tête-à-tête qui est un monologue contre un regard muet. L’orpheline sent la beauté qui point sous l’ouragan. Enfant des origines, enfant né d’avant l’organisation lisse et nette du monde.

La mère attrape brutalement son fils par le tee-shirt. Mais pourquoi t’arrêtes-tu comme cela ? Je n’avais pas vu que tu ne me suivais plus ! Arrête d’embêter la dame. Pardon, je suis navrée. Vous savez, ce n’est pas facile avec lui. J’espère qu’il ne vous a pas fait mal ? Dis pardon, Stéfane. On va au musée, on a rendez-vous avec ta tante, on est en retard. Dépêche-toi.

Stéfane s’éloigne de mauvaise grâce, se retournant une dernière fois vers Lune, lançant un regard que d’autres diraient provocateur, et qu’elle reçoit comme un appel. Se surprenant elle-même, Lune retrouve sa voix pour lancer à l’enfant de bien regarder le grand cèdre, de s’assoir par terre, de le sentir, que c’est presque le plus grand d’Europe. Et ses yeux d’innocent où germe la folie lui disent viens. Alors elle suit ces deux êtres dont le lien par le ventre semble fabriquer leur souffrance. Elle suit de loin, car la mère lui fait peur. Elle va tout droit, tirant son fils. Elle semble furieuse de son indigne progéniture.

Mais il y a autre chose aussi, pense la toute jeune femme. Nous verrons sous le cèdre.

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La main sublime du hasard

 

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L’été n’est pas serein, j’ai le cœur qui remue un tas de glaise grise. Trop de torpeur et de temps sans saveur, point de frénésie douce comme je l’espérais. Se mêlent mes attentes enterrées et les mornes journées. Rien n’est pourtant si grave, les enfants jouent et rient, et l’amour est bien là, tranquille et caressant.

Ce soir, nous sommes invitées à dîner chez une amie très chère. J’essaye de frissonner un peu, de donner un goût d’or à cette soirée promise. Sortir du noir dans lequel je m’enferre en dépit du beau soleil de juillet. Alors, dérisoire tentative, nous nous faisons coquettes. Violette choisit bien sûr sa robe qui tourne le plus et Camille admire avec ses mains son grand jupon bleu semé de fleurs blanches. J’effleure même leurs visages de mon gros plumeau dévoué à la poudre rose. Pas une trace de blush – c’est du bluff bien sûr – mais elles se sentent belles au-delà des étoiles. Elles portent sur leurs joues l’éclat de leur plaisir comme un fard merveilleux.

Pour moi, c’est une autre affaire. Rien de ce qui ordinairement suffit à mon bonheur n’arrive jusqu’à mon cœur. Penser : au biberon de Camille, à son lait et aux céréales qui vont avec, au lit parapluie, aux doudous et aux couvertures, au vin que j’apporte à mon amie, aux pyjamas, à des vestes s’il fait froid, à un matelas de voyage pour Violette, aux couches bien sûr, et tout ce qui va avec. Voilà exactement ce qui m’assomme, alors que la soirée s’annonce délicieuse et que je devrais ne penser qu’à cela. Ajoutons à la sauce une bonne dose de culpabilité – quelle geignarde fais-tu ! Ta vie est remplie de gens aimés, tes filles sont en pleine forme, ton mari te faire rire et ses bras sont immenses, tu es en vacances, toi ! Tu danses, tu lis, tu écris presque tous les jours, dans un confort qui rend honteuse chacune de tes plaintes ! Enfant gâtée ! –  et la mayonnaise est maintenant montée à la perfection. Je suis une boule dure et sombre. Rage d’être mère (et pourtant quelle joie !), rage de n’être pas ailleurs, libre de mes attaches (si douces !). Rage, rage, rage.

Et je charge la voiture, recommandant aux filles d’attendre sagement dans la cour. De multiples allers-retours pour ce qui ressemble davantage à un déménagement qu’à un départ pour un dîner d’amies. Rage encore de tout ce fourbi nécessaire. Tout est bouclé, il ne reste plus qu’à ficeler mes demoiselles en robe des grands jours dans leur siège auto. Je les entends rire sans les voir : elles ne vivent pas dans le même monde que moi. Chaque chose est une joie pour leurs yeux neufs. Et moi, je sais qu’il faut encore les soulever, clipper les savantes attaches, tirer sur les sangles, vérifier la tension, desserrer un peu, retendre finalement, essuyer au passage un nez qui coule et négocier à l’occasion d’une exigence inappropriée que l’une ou l’autre ne manquera pas d’avoir.

Horreur ! Alors que je rumine mon nuage de fumée, je retourne à la cour où Violette et Camille ont trouvé une flaque, de la terre et un seau. Elles n’ont pas hésité, pas une seule seconde. Elles sont heureuses et tapissées d’eau crasseuse et de boue. Je passe sur les cris dont je ne suis pas fière. On nettoie, on se change. Là je ne rumine plus, je fulmine franchement. Nous sommes en retard, il va de soi…

Vient enfin le départ. Heureusement, la route est assez brève et les collines sont belles. Ma tempête s’étouffe au gré d’un virage plus touffu que les autres où les elfes sûrement nichent secrètement, d’un châtaignier dont les fleurs explosent vers le ciel, d’un troupeau paisible au bord d’un étang, en contrebas. Tout va bien finalement. Ce soir sera beau, un pansement pour moi, du nectar pour mes filles.

Dernier croisement dans la tendre campagne. Nous apercevons la maison, vieille ferme plantée à l’orée d’un bois clair, veillant sur les champs jaunes et le vallon qui luit dans la soirée montante. A l’intérieur, les lumières sont déjà allumées, les fenêtres nous accueillent de loin et disent la chaleur amicale qui nous attend. Je jette en souriant un œil sur le siège passager. Non ! J’ai oublié un sac, le sac ! Le seul qu’il ne fallait vraiment, vraiment pas oublier : celui des couches de Camille où sont aussi les indispensables doudous. Oh que le calme fut bref ! Je suis à nouveau ouragan, éclair, tonnerre ! Quelle mère déplorable ! Je me tais, je me tais, enfin j’essaye, pour protéger mes filles de mon humeur furieuse. Demi-tour, ce n’est pas si simple dans la pente et l’étroitesse du chemin. Je suis brusque et maladroite, évidemment. La route en sens inverse a perdu de son charme. Le ciel est noir d’orage, mais toujours moins que moi.

Cependant, lorsque nous arrivons à l’ultime village avant notre maison, le hasard me tend sa main sublime. Un arc-en-ciel invraisemblable de complétude, de netteté, se détache, immense, sur le nuage qui a la teinte de la nuit. Toutes les couleurs sont vives, et, comble de perfection, ce demi-cercle céleste est touché par la flèche du vieux clocher d’ardoise exactement en son centre. La petite église dorée est pleine de soleil, auréolée par l’arc vif et le ciel sombre. Je reçois ce cadeau comme une  belle raison  d’avoir fait demi-tour.

« Maman, un arc-en-ciel ! Tu as vu, il entoure l’église ! » s’exclame Violette, charmée autant que moi. Camille n’a peut-être rien vu, mais elle répète tout ce que dit sa sœur, ôtant les consonnes dentales et vélaires qui visiblement l’indisposent, ce qui donne « Maman (quand même ce mot là est entier !), un ar’en ‘ciel, as vu, Maman un ar’ en ciel ! » etc. Et toutes les remarques de Violette se trouvent répétées, amputées des consonnes gênantes, comme si Camille était un petit robot mécanique dont une pièce serait cassée. Nous rions, nous rions toutes trois de ce moment offert par la grâce du monde.

Et moi qui étais un sac de noirceur mal contenue, je dis à cet instant un merci silencieux. J’entr’aperçois le sourire de mes filles dans le rétroviseur. Vraiment, ce soir sera beau.

Francine

 

1280px-Armenian_dish_dolma_2La cuisine est assez petite, assez sombre aussi parce qu’aveugle sur trois côtés. Il y a bien une porte-fenêtre mais la cour est fermée par un immeuble noir. Francine ne se souvient plus vraiment avoir habité autre part. Protectrice, la mémoire se dérobe à son cœur abîmé.

 Ce matin, elle a cueilli sur la vigne épanouie entre les fers forgés de la rambarde du balcon, tout un paquet de feuilles douces qui semblent rayonner au-delà des vieux bétons salis, de la cour comme atteinte d’une lèpre vorace, du bruit des moteurs veules. Les grandes pointes de ces feuilles miraculeuses portent généreusement son regard vers tous les soleils des horizons sans brume, vers un monde déchargé des laideurs et des plaies.

Ainsi, sur les carreaux bruns coincés entre les plaques de gaz et le creux de l’évier, les doigts agiles de Francine façonnent de petits rouleaux avec les feuilles ramassées qui contiennent toute la lumière passant à travers mur. Elle les remplit d’une farce faite de riz, de tomate, de mystère et de son âme entière. Elle prépare un Dolma : ces dizaines de rouleaux cuiront à l’os à moelle. Elle fait tout ce qu’il faut, sans réfléchir. Ses doigts savent les saveurs qu’ils rendent généreuses et délicates. Cuisiner est un acte nécessaire par lequel elle obéit à ce qu’elle doit, instinctivement, un mouvement vital qui ne se parle pas. Aujourd’hui, comme d’autres fois, elle prépare ce Dolma dont la recette lui vient de l’Arménie, épousée en secondes noces. C’est une œuvre de patience qui l’absorbe des heures. A-t-elle d’autre choix, si elle veut respirer encore? Sa grande marmite  parfumée pour dire l’amour qui la déborde et peut-être sont-ce aussi ses genoux plantés dans la terre.

Francine a toujours cuisiné. Pour tous les ouvriers et les hommes de passage, pour tous ceux qu’une belle assiette peut satisfaire pleinement. Elle les a accueillis, affable et vive, enjouée et piquante. Dans une salle sans prétention, il y avait les fumets et les couleurs, les bonheurs simples au cœur des journées laborieuses. Elle s’est dévouée à toute la ville qui le voulait. Elle a couru, sué, choisi les meilleurs produits, inventé des accords que joueront les palais les plus grossiers, comme des pianos rendus subtiles par la délicatesse de la nouvelle partition. Elle n’a jamais compté son temps ni ses deniers, ni son énergie. Elle s’est nourrie des regards contentés. La cuisine est sa part de lumière, l’échelle par laquelle elle tente perpétuellement de ne pas sombrer dans le sourd précipice,  le fil d’Ariane qui la relie au monde. Cuisiner pour se glisser dans les cœurs chauds qu’elle rend heureux. Ne plus rien voir, ne plus rien sentir que leur chaleur. Se sauver.

Ce n’est pas le vent qui pousse la porte vitrée. C’est David. Son fils. Le seul qui lui soit resté de ses quatre accouchements. Il l’embrasse tandis que la fillette qu’il tenait par la main saute au cou rond de sa Mamie. Francine est soudain heureuse. David ne sait pas tout de ce qui l’a précédé et a pu se donner, lui, et la livrer, elle, à l’avenir simple de leur famille. Il connait l’ancien passé : la fameuse grand-mère qui est en réalité son arrière-grand-mère. Il sait les soirées de ces gens simples et vivants, ouvriers à la peau rouge et aux mains noires vidant les verres de vin en chantant la révolte. Sont inscrits dans sa peau les fêtes et les colères de ce peuple-là dont il vient. Et le grand silence qui, un soir, ensevelit sa mère, alors tendre enfant née dans la sueur et la boue de l’Histoire. Grand silence surpris après un bruit de bottes. Ce soir-là, il n’y a plus eu ni père, ni mère. David voit, à chaque fois qu’il croise les yeux de Francine, sa terreur d’enfant alors que rentrait à la maison le fantôme de sa mère, venu s’éteindre sous son regard sidéré. Les mots épars de ce fantôme bruissent encore au creux de ses blessures demeurées petite fille, les mots épars dépourvus d’âme. Son fils sait tout cela et au fond du désastre, voilà la réussite de l’inexorable cuisinière: elle a quand même un fils avec un passé véritable et un avenir tranquille.

Ce que David ignore, c’est le grand trou de Francine, sa première tentative d’existence.  L’alcool imbibé dans les cloisons et dans l’odeur du pain. Et cet homme sans visage dont elle ne sait plus rien que les soirs misérables et la peau bleuie de malheur. Les trois enfants engloutis dans le nuage de poussière âcre qui fabrique les larmes sèches mais ininterrompues.

Un baiser encore sur la joue de sa mère, et David s’en va avec son petit trésor de lendemain promis au bout du bras. Ils vont à leur vie. Fin du bonheur. Le Dolma cuit maintenant et Francine a le cœur comme une grosse caisse entre les mains d’un joueur fou. Elle saisit, pour se rassurer, la bouteille qui la couve éternellement du regard, jusqu’à épuisement. Le liquide foudroie la peur qui la tient à la gorge. Sa peau est tachée d’excès et de l’usure de ses soixante années, plus longues et plus pesantes pour toutes les femmes que Gervaise rend sœurs. Francine arrange sa nappe blanche dont elle ne voit pas que les dentelles sont fausses, époussète une fois encore ses meubles vernis, ornés de volutes fabriquées en série. Elle vérifie l’alignement de ses vases en étain au dessus du buffet, replace les couverts sur la table à manger, presque aussi grande que la pièce. La vieille dame regarde sa maison et ses choses bien à elle. Ce sont les preuves qu’elle a pu vivre un peu, malgré tout. Ses petites victoires.

Enfin, elle range la bouteille restée jusque là tout près d’elle. Sursaut lucide, prudence de celle qui a tant à gagner et tout à perdre encore. Un monde s’entrouvre au bout de son attente anxieuse.

Le carillon tinte de ses notes trop légères pour la circonstance. Francine va au balcon. Entre les feuilles de vignes éclatantes au soleil, montent des pas timides. Suspension des regards, secondes étirées d’hésitations infimes.

Surgies du précipice, des vies entières l’embrassent presque sans réserve. Elle qui s’en faisait tant ! Les visages de deux enfants étalent leur désir de combler la béance de leurs premières années. Voilà, notre grand-mère. C’est si simple, le baiser d’une grand-mère. Déjà, les bavardages. Francine raconte ses souvenirs d’école, et la casquette de Charles comme un berlingot pour l’ainée venue avec ses livres.

D’autres pas ont monté entre dalles et vigne. Plus tremblés, poussés en avant par leurs incertitudes. Un regard et des mots convenus. Courtoisie élémentaire pour fracturer les années de silence. Et mère et fille passent à table, simplement. Elles sont deux étrangères lointainement liées, assises au seuil de ce qu’elles inventeront.

Les Poux – Attention, texte qui gratte!

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A Frog qui m’a suggéré ce texte, et à toutes les mères qui se reconnaitront peut-être un peu dans ce récit épique.


Dans ma salle de classe assaillie de sud et de soleil, par vagues de trente, les élèves ont, pendant sept heures, chauffé au-delà du supportable l’atmosphère qui n’a pu rester studieuse tant elle est devenue étouffante au fil de la journée. Ils se sont plaints, à tour de rôle, puis de concert. Symphonie de soupirs, de mains qui font l’éventail, de sueur rougie sur les visages mornes, de protestations et d’épaules tombantes. Impossible de se concentrer. Antigone ou Chimène n’ont plus de si beaux yeux, dans une telle chaleur. En ouvrant l’autre four brûlant qu’est devenue ma voiture, l’énergie nerveuse qu’il m’a fallu pour mener, tant bien que mal, ces heures de cours, retombe tout à fait. Je suis exténuée.

Pourtant il faut encore faire la route écrasée de la lumière blanche et lourde de l’été. Retrouver les enfants et leur sourire, les soulever, les embrasser, soigner les bobos, enrayer les disputes semées par le soleil sans concession qui darde la place du village où leur Nounette m’attend, fatiguée certainement autant que moi. Et prendre à nouveau la route : Violette a rendez-vous chez le coiffeur.

 Elle l’a réclamé hier, comme une dame. Une main cherchait à mettre de l’ordre dans sa généreuse chevelure et elle s’observait dans le miroir qu’elle n’atteint cependant que depuis un marchepied en plastique antidérapant. Paradoxe absolu et si drôle : ses petits pieds relevés sur la pointe, hissés sur l’objet nécessaire à l’enfance,  et l’air absorbé et profond de ce visage tendre qui minaudait devant la glace. A son petit soupir excédé je n’ai pu résister : «  Ah, ils sont trop longs mes cheveux ! Maman, il faut que j’aille voir le coiffeur ! ».

Nous y sommes. Toute la nervosité est restée sur le trottoir brûlé. Violette est assise bien droite, assez fière d’être l’objet de toutes les attentions. La jeune coiffeuse est pleine de douceur et de sourires. Et mes yeux brillent sans doute d’orgueil devant ma fille ainée si jolie et si sage. Le salon est grand. Peu de meubles. L’espace silencieux consacre son centre à Violette qui l’élève comme le ferait un trône. Elle a enfilé une grande blouse qui, comble du bonheur, est parsemée d’oiseaux. Violette la regarde et la caresse. C’est un tissu subtilement plastifié, léger, et ses doigts l’examinent avec curiosité et plaisir. Elle n’ose l’évoquer pour ne pas rompre le charme du blanc de cet instant mais je lis dans ses yeux que les oiseaux lui parlent et que cela l’enchante.

Camille  s’adonne à son bonheur avec la constance qui la caractérise. Elle habite la grande pièce en la parcourant, l’air parfaitement décidé. Son errance semble déterminée à toucher le hasard. Elle commente tout dans sa langue fondamentale, mystérieuse et expressive dont tant de grands poètes se sont désespérés à rechercher la trace. J’écoute du fond de l’âme la source vive de la Poésie originelle dans le babillage intérieur qui échappe en toute inconscience à ma petite Camille. Elle est toute en courbes douces et dodues et se dandine innocemment, sans imaginer une seconde le spectacle essentiel qu’elle livre à mes regards.

La coiffeuse s’appelle Laura. Elle prend soin de tout expliquer, ses mains vont vite mais ne surprennent jamais. Elles manient le vaporisateur comme le Graal que nous venons toutes de trouver. Les cheveux mouillés de Violette dont les pointes raidies par la brosse chatouillent sa nuque délicate diffusent une fraîcheur ténue et salvatrice. Si les miroirs du salon apaisant parlaient, ils salueraient sans doute la douce féminité de nos silences heureux entrecoupés de mots qui ne sonnent que pour s’en faire le discret écrin.

Les premières mèches pleuvent, encore bien coiffées, sur la blouse aux oiseaux. Elles deviennent le jeu de Camille et Violette qui s’en saisissent, les dispersent, se nourrissent de leur texture humide et amusante. Les sœurs se réunissent, leurs mondes se rassemblent dans le plaisir du toucher partagé. Les rires s’élèvent au moins jusqu’au plafond tandis que mes lèvres se pincent malgré moi. Les morceaux de ma fille ainsi étalés de partout, c’est impensable ! Et puis j’ai un peu honte de leur agitation qui point, il faudra tout nettoyer et que va penser la jeune coiffeuse ? Je voudrais vraiment faire taire cette honte stérile car mes filles découvrent et vivent les lumières de leur enfance dans toute leur pureté. Faut-il avoir honte de leurs éclats de joie ? Le regard affable de la coiffeuse pèse malgré sa bienveillance. Et si, derrière son regard doux, se trouvaient d’acerbes critiques quant à l’éducation que je donne à mes filles? Ah, le cœur est toujours si narcissique : c’est moi, uniquement moi, en tant que mère, ou plutôt l’image de moi, que je veux préserver en demandant à mes filles de cesser leur jeu innocent ! Surtout que, jeu ou non, il faudra balayer, quoiqu’il arrive.

Patience… Je vais en avoir pour ma peine.

« Vous savez que votre fille a des poux ? » Voilà une vraie honte, cinglante comme il faut, diplomatiquement soulignée par la forme interrogative ! Voilà de quoi avoir  véritablement honte: je n’ai pas vu que la tête de ma fille était habitée par d’innombrables petits parasites dont la vitesse de reproduction devient un point fixe dans l’angoisse qui s’installe en moi. La coiffeuse ne peut retenir une grimace, malgré son amabilité que je sens professionnellement sincère. Il ne s’agira pas d’un simple coup de balai mais de tout javelliser, sol, tissus, accessoires, outils, avant le prochain client. Je me confonds en excuses surprises et penaudes mais déjà (l’égoïsme décidément me guette), mes pensées courent vers la pharmacie, la désinfection nécessaire de la maison, les multiples lessives, les heures pendant lesquelles il faudra passer, mèche après mèche, le peigne à poux.

Nous nous jetons toutes les trois dans la rue et c’est comme si la grâce des premiers moments dans la pièce aux miroirs n’avait pas existé. La grande fatigue accumulée dans la journée n’a plus cours non plus. Je suis tendue vers la soirée multiple, je marche vite et rien n’existe d’autre que ma nervosité. Je me gratte frénétiquement bien sûr, à cause des poux imaginaires qui s’immiscent partout. Les deux sœurs demeurent désespérément sereines. Rien ne semble les atteindre. Violette lance de furtifs regards à son reflet dans les vitrines pour en apprivoiser la nouveauté, et Camille détaille la nuque maintenant apparente de sa sœur, comme une page à lire.

La maison perd le nord et son ordre souverain. Corvée qui m’exaspère mais que j’accomplis avec la conviction qu’elle me rachète de ma négligence. Je fais tout voler comme pour anéantir le monde grouillant et invisible que mes yeux croient deviner dans chaque morceau de tissu. Deux charlottes protégeant la lotion miracle appliquée avec soin dansent joyeusement au milieu des monticules de linge en formation et se réjouissent de la réinvention de leur terrain familier. Elles ignorent superbement mes mouvements trop secs et mon œil trop sombre. Le shampoing, c’est avec leur Papa, beaucoup plus sage que leur mère et parce que lui, au moins, ne met pas d’eau dans les yeux.

Rapide repas, réduit à l’essentiel. Et nous peignons, patiemment parce qu’il n’y a pas le choix, chaque mèche enfantine. Le coton humide sur lequel les dents fines viennent, à chaque passage, se débarrasser à leur tour des toutes petites bêtes, se tâche de points noirs et mouvants qui me donnent des frissons. La lotion n’a rien eu de miraculeux (Merci monsieur le pharmacien de votre air assuré en me montrant le flacon soi-disant meurtrier, vous avez fait de moi une bien piètre empoisonneuse !) : les poux tentent de fuir la blancheur dénonciatrice du disque à démaquiller. Mais mes ongles sont sans pitié. Je fais œuvre de mort à une vitesse folle. Mon dieu, il y en a tant ! Rien ne pourrait m’arracher à ma tâche qui devient obsession. Mais, sous le peigne minutieux, les deux petits corps nus sont toujours très tranquilles. Violette demande même pitié pour ses poux et voudrait bien les voir. Son Papa lui présente, sur le plateau mouillé :

« Oh, ils sont trop mignons ! » s’exclame-t-elle attendrie.

Tiens, voilà qui ne m’avait pas traversé l’esprit !

Le gâchis

 « Ecris-toi en train d’écrire »…  Et la troisième personne est une lâcheté.

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Les bruits de la maison répondent au cliquetis des touches du clavier. Il y a une enfant qui fait ses expériences et en donne la musique, pour elle-même, et pour le plaisir d’habiter l’espace sonore de cet instant ouvert. Une autre enfant s’adonne à une palette d’aquarelle et son pinceau s’agite dans un petit verre d’eau. Elle, concentrée sur la page qui l’appelle, entend les vaguelettes dans le verre en plastique. Tout est propice. Elle peut écrire, mais l’oreille traine, viscéralement. Sa vigilance de mère l’empêche de s’absorber tout à fait à sa pensée. Tant mieux. Les bruits d’enfance qui peuplent la grande maison sont sa corde de rappel, le rideau qui tombe. La pensée pure, déréalisée, désincarnée, ou qui prend corps seulement dans les doigts la ravit à sa réalité. C’est un vertige éprouvé au dessus d’un abîme. Les bruits alentours disparaitraient, s’ils ne parlaient pas à son ventre. Des rires éclatent, et cliquètent ses doigts tranquilles sur le clavier. Des pleurs. Il faut s’interrompre et consoler, se gorger de peau douce de joues vraies, goûter les larmes. Elle a chassé de quelques mouvements de bras les fumées persistantes de son esprit en point d’interrogation ininterrompu.

Être mère est une affaire de chair.

Elle voudrait écrire la chair, sa toute-puissance rassurante, son poids impérieux. Le sens qu’elle donne à tous les chemins pris. Elle voudrait que ses mots lui rendent le réel, plus dense, plus vrai, plus charnel. Elle cherche des images chargées de matière qui la livreront au monde, malgré les chimères dont elle est prisonnière. Elle pense à Eluard, dont les mots sont des corps.

Ses doigts hésitent, et s’agitent, irrémédiablement. Elle s’est penchée encore sur ses gouffres intimes. On entend des regrets dans les voix enfantines. Elles sont à nouveau seules, dépossédées de leur mère par des mots qu’elles finiront, peut-être, par haïr. Ce sont des voix bien sages pour l’instant. Elles se réparent elles-mêmes et se résignent à leur solitude. Elles se suffisent autant qu’elles peuvent pour ne pas déranger les pensées qui tentent de se déployer sur l’écran blanc.

Elle, à demi-absorbée toujours, s’écartèle. Vertige et culpabilité. Mais elle ne peut lutter et tourbillonnent ses profondeurs vaporeuses.

Les enfants jouent, vivent, sans elle. Et le temps passe.

La mère n’a rien vécu. Elle a beau raisonner, rêver, chercher, elle n’a plus rien à dire. Ses yeux sont clos.

C’est un triste gâchis, sourd, sec et amer.

 

Le bain des enfants

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A ma fille, ma douce Camille et son petit souffle maladroit  mais si gai sur ses deux bougies du jour. Pour tous les bains passés, et tous ceux à venir.

Le bain des enfants est une chose étonnante.

C’est après les éclats des deux sœurs qui assénaient, comme un coup de trique, leur agitation impérieuse au soir venant.

C’est après. Le petit monde se déroule dans la cuisine. Camille chantonne. L’eau qui bout et mon air affairé ouvrent les portes de son rêve. Elle peut s’absenter puisque tout est en ordre. Métamorphose des lieux. Tout s’invente dans ses yeux et cet instant flottant. L’enfant s’absorbe à sa pensée joueuse.

Comme chaque jour, la tâche familiale. Ma lassitude se panse aux  grelots adorés. Les chocs réguliers du couteau sur la planche. L’eau qui bout. Je savoure la rareté rituelle de notre tête-à-tête. Chacune côte-à-côte, nous épousons le calme comme un trésor trouvé. Les bruits se font discrets au pépiement de Camille, cette flûte de pan qui semble venir d’en haut. Chaque geste se pèse: harmonie ou chaos.

L’instant funambule s’éteint. La bougie est soufflée par le couloir qui bruit, et sa fumée se goûte dans son extrémité. J’entends une voix grave  qui discute et qui aime, et une autre d’enfant qui ne dit pas grand-chose mais sonne le bonheur de ses pas accordés à ceux de la voix d’homme dont elle se régale. L’odeur du savon.

Violette sort du bain, fière comme il se doit de son ventre en avant, de ses cheveux mouillés, de son Papa qui l’accompagne, et c’est ça le plus beau. Ils parlent ensemble une langue inventée dans les jeux éclaboussés de rires, dans les frottements épais de la serviette qui fait Violette momie. Je les écoute. J’aime être leur étrangère.

Camille pépie toujours, elle ne s’est pas dérangée de sa sœur qui se fait coiffer. Violette se tient droite et son père s’applique, tenant de tout son cœur une brosse rose-fille.  Ses cheveux en bataille et sa barbe oubliée se taisent autant que moi. Ils s’effacent devant le père qui fait à son morceau d’étoile les cheveux bien raides, bien nets, sans un pli. Il les place en arrière pour ne pas la gêner. J’admire sa patience, moi qui n’en avais plus. Le petit mistral engouffré en criant, tout à l’heure, dans le couloir en demi-teinte, s’est fait brise, apaisé d’eau chaude et de gestes attentifs. Je regarde ma fille ressuscitée et sa peau plus tendre maintenant. Lavée au savon de l’amour, innocence et pureté lui sont rendues. Elle prolonge la grâce en ne bougeant pas trop. Elle sent bien, elle aussi, qu’il y a des secondes qu’il est doux d’étirer.

C’est à Camille. Embrassant ses joues rondes qui résistent ce qu’il faut mais se laissent adorer tout de même, je l’enlève à sa chimère chantante. Nous disparaissons à notre tour dans le couloir. Le bain. Avec Camille c’est un peu la bataille. Elle veut tout accomplir, elle est gauche et têtue. Elle me pousse, moi qui voudrais la faire propre comme un sou neuf et la frotter aussi fort que je l’aime. C’est une autre musique.

L’horloge a tourné, l’eau refroidie l’arrache à sa détermination. Ses cris réclament  encore un peu de bon bain chaud alors que je l’emporte, emmaillotée comme l’enfant miraculeux. Alors se déploient, et cela vient du ventre, les mots tendres, les larmes essuyées, et joue contre joue, et le coton tout raide d’être propre et tout ce qui console. Par sa colère rincée de larmes, Camille m’offre la joie d’être sa mère et de la sauver de ses pleurs. Voilà. Elle s’assoie à présent, bien fort et bien confiante, dans mes bras qui l’emmènent. Tendre traversée de la frontière entre les mondes.

Le couloir débouche à la lumière jaune. On entend une guitare faisant des vocalises. C’est Papa dit Camille, encore maquillée d’un étrange clair-obscur. La cuillère de Violette tinte dans son assiette.

Le monde est un peu différent à la sortie du bain. C’est un joli mystère que l’on n’ose évoquer. Tout est tombé, les vétilles et la bouche pincée, les nerfs secs et les coupures dans l’air. Le moment se repose à nos cœurs réparés.

Le bain des enfants réconcilie le jour et la nuit qui s’installe.

L’instant d’avant

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J’ai laissé mes élèves, tranquillement. Dans leurs « au revoir » joyeux, j’ai senti leur bienveillance.  J’ai senti leur confiance, et,  peut-être, aussi, leur gratitude. Pourtant, au fond, c’est moi, leur élève.

L’instant est chaud, couvé par le soleil de mars. Je vais retrouver mes filles. C’est le printemps de l’âme. J’entends déjà les cris heureux qui célèbreront nos retrouvailles. Que ces promesses de chaque jour sont douces ! Ce sont des boutons de fleurs, délicats et si beaux, juste avant l’éclosion. Lire la suite « L’instant d’avant »

Acrostiches pour mes filles

 

 

mother-and-baby-1646450_960_720.jpgViolette

Violette beau Printemps

Ivresse naissante joie

Ode à toi Ô mon enfant

Laisse-toi alanguir sur mon épaule

Epaule amour épaule mère

Tendre pétale jeune rosée

Ton avenir c’est la promesse de l’été

Et lumières et beautés sont ta matière ta saison

***

Camille

Cerise mûre fruit sucré
Aux reflets de mon Amour
Merveille sans atour
Image sacrée ronde beauté
Lumineuse enfant du plus doux de mes jours
Laisse ta tête reposer
Et sur mon coeur et sur ma vie