Tentative pour l’agenda ironique d’avril

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C’est Chagall

Et je me tais

Puis-je faire autrement

Puisqu’il y a

Tous ces yeux tendres

Qui se regardent

 

Et la mélancolie

Eclate rouge ou verte

Ou jaune

Et toujours élastique

Frôlant dans sa douceur

Un morceau de moi-même

 

C’est Chagall

Et je me tais

C’est un cirque silence

Car les eaux sont profondes

Et les songes muets

Contentés de couleurs

Et puis d’étrangeté

 

C’est Chagall

Et je me tais

Je nage ma rêverie

Dans l’entrelacs des formes

Et les mystères du bleu

 

***

C’est dans l’atelier sous les feuilles que vous trouverez le beau sujet!

 

L’art est un prétexte

Lune – Ch 4

Suite des articles:

Lune

Margot

Claire, Julie, Pierre et Amar

Lune – ch 2

Margot – ch 2

Claire, Julie, Pierre et Amar -ch 2

Lune – ch 3

Dans la cathédrale

Quand Lune arrive dans la cour du musée, Stéfane parle, dans sa langue qui est comme une ronce, s’agrippant violemment aux choses, aux êtres. Cela n’étonne pas la jeune fille, il parle au cèdre. Oh, bien sûr, il ne s’est pas assis comme elle le lui avait conseillé – il serait bien incapable de demeurer immobile – mais enfin il l’observe. Ses yeux vont rapidement d’une branche à l’autre, du pied vers le sommet. Son regard ne se pose nulle part. Son corps est en perpétuel mouvement, désordonné, insensé, sans autre but que lui-même. Lune est appuyée contre le porche blanc de la cour, elle ne bouge pas, elle le contemple. Elle voudrait fuir cet enfant fou mais elle ne peut pas. Il lui enserre déjà les jambes et ses épines sont irrémédiablement plantées dans sa chair.

Il n’a pas voulu rentrer dans le musée avec sa mère, c’est ce qu’il dit à l’arbre dont la sérénité s’empèse de fatigue. Les branches haubanées disent un peu de lassitude, Lune le voit seulement maintenant. Stéfane n’en a cure et le boxe de ses exclamations dont Lune ne pressent l’unité que dans la colère. De toute façon, le musée ça ne m’intéresse pas. C’est des croûtes qu’on dit qu’il y a sur les murs. Et ma mère, quand elle voit ma tata, c’est juste pour lui dire qu’elle en peut plus et que je suis difficile. Sauf que c’est moi la victime. Moi aussi j’en peux plus. Mais bientôt, j’aurai ma ferme et je serai bien tranquille. Toi, tu bouges pas, ça ne doit vraiment pas être marrant d’être un arbre. Sauf qu’on meurt moins vite. J’ai pas envie de mourir, moi. Enfin, j’aimerais bien essayer parce qu’on doit être bien calme quand on est mort. Attention, j’aimerais essayer que si on peut revenir après, quand on a bien vu ce que ça faisait. Je sais pas si ma mère pleurerait si j’étais mort. Je vais pas lui demander parce qu’elle va encore crier et moi ça me casse les oreilles les gens qui crient.

C’est le milieu de la journée et personne ne passe par la cour, ni pour sortir du musée, ni pour y entrer. Lune se tient parfaitement immobile encore. Ce qu’elle lit de fêlures dans cet enfant l’effraie. Seulement, alors que Stéfane s’aventure sur la pelouse interdite et s’apprête à ôter un premier morceau de l’écorce, elle bondit. Sa voix s’affole devant ce geste sacrilège. Mais il ne faut pas faire cela ! L’enfant  répond calmement tu es là toi. T’es pas ma mère, hein. Seulement il regagne les pavés et c’est tout ce qui compte, à cet instant, pour la jeune fille. Les mots épars du garçon, qui allaient vers le cèdre, vont maintenant vers elle. Pourquoi t’es venue ? Tu sais, c’est nul dans le musée. Ma mère y va tous les lundis depuis qu’on est arrivés ici. Elle dit que l’art lui fait du bien.

Je suis du quarante-deux moi, de la campagne, c’est pas la Loire comme ici, chez moi, c’est la Loire, le département, pas le grand fleuve qui a l’air tranquille ; chez moi, c’est « allez Saint Etienne » et les écharpes vertes parce qu’on est tous supporters de l’ASSE ; et il y a des tracteurs et des vaches dans les prés. Il n’y a pas de musée à La Gimond.  La Gimond, c’est le nom de mon ancien village. J’aurais bien voulu rester là-bas parce que je connaissais tout le monde et que je pouvais faire du vélo quand j’en avais envie. Mais ma mère voulait venir ici. C’est parce qu’il y a ma tata je crois. Et parce qu’elle veut plus voir mon père. Du coup on a laissé la maison et j’habite dans un appartement. J’aime pas trop, mais le fleuve, ça j’aime bien. Ma mère est maitresse. Elle veut que je fasse des devoirs de vacances avant d’entrer en sixième. Tu veux pas m’aider ? Parce que, comme ça, j’irai plus vite et j’aurai le droit d’aller dehors.

Lune profite d’un blanc pour dire doucement qu’elle veut bien l’aider, qu’elle doit d’abord en parler avec sa maman. Elle lui propose d’aller quand même regarder les tableaux à l’intérieur. L’enfant refuse. Tu comprends, ma mère, elle a pas trop envie que je rentre, comme ça, elle doit pas me dire tout le temps de me taire et de pas toucher, et elle peut se plaindre de moi à ma tata. Quand on repart, en général, elle est plus gentille. On y va quand même, dit l’orpheline. On passera seulement la prévenir que tu es avec moi. Je lui dirai mon nom pour qu’elle ne s’inquiète pas. Lune prend l’enfant par la main, il ne dit rien et monte les marches avec elle.

A l’intérieur, ils écument les pièces dont les murs tendus d’étoffes anciennes impressionnent beaucoup Stéfane. Il ne dit plus rien maintenant, scrute tous les détails surannés des grandes salles, la bouche ouverte, les membres secoués par quelques sursauts d’étonnement. Et alors qu’il s’absorbe à sa contemplation, la main toujours abandonnée dans celle de Lune, elle aperçoit la mère. Assise sur une banquette rouge au centre de la salle consacrée au vingtième siècle, à côté de sa sœur, elle ne regarde pas les tableaux. Elle porte un tailleur et un carré brun impeccablement lisse. Elle pleure. Lune comprend. Elle vient au musée pour pleurer, hurler à demi-mot son fils impossible, son mariage échoué. La jeune fille aux boucles brunes est très gênée de devoir la surprendre au milieu de ses larmes. Elle dit doucement qu’elle s’excuse de la déranger, qu’elle s’appelle Lune, qu’elle a croisé Stéfane et qu’elle propose de l’emmener voir la collection de peintures du dix-neuvième siècle, si elle veut bien, et qu’elle lui ramènera son fils dans cette salle-ci à midi trente, parce que le musée ferme à midi quarante-cinq. Si elle le souhaite, elle peut venir les retrouver, ils resteront dans la même salle.

Maman, t’inquiète pas, elle va pas me kidnapper. De toute façon, personne voudrait m’emmener, vu comme je suis pénible. T’inquiète pas. On y va ? Tu as dit que tu t’appelles Lune ? Elle devait être un peu anormale ta mère, pour te donner un nom pareil. Moi c’est beaucoup plus normal Stéfane. C’est juste que moi c’est avec un f. C’est mon père qui a voulu.

La mère interrompt son fils en ravalant un sanglot. Oui, vous pouvez y aller. Merci, mademoiselle, vous êtes très gentille. Vous pouvez le ramener ici s’il n’est pas sage. Je reste ici : j’aime beaucoup le bleu vibrant de ce tableau : il est mélancolique et pourtant lumineux. Il me fait du bien. Lune ne répond pas qu’elle a deviné qu’elle ne venait pas ici pour ce tableau presque uniforme, mais pour la banquette et l’épaule de sa sœur. Elle hoche seulement la tête et sourit en emmenant le petit météore vers le dix-neuvième siècle.

Elle pense à sa recherche d’emploi, à sa prochaine nuit. Elle s’occupera de tout cela après. Se joue quelque chose auquel elle ne veut pas échapper maintenant, et qui mérite qu’elle s’y livre. Les œuvres qu’elle regarde avec Stéfane ne lui plaisent pas vraiment. C’est très figuratif, très premier degré. Il y a un Christ en croix de Degas, c’est une étude, une copie. La touche de pinceau à déjà la douceur qui caractérise le peintre. L’enfant crie que c’est vraiment dégueulasse et pourquoi est-ce que l’on peint des gens morts et tout nus? Ils y a trois hommes crucifiés sur la toile. Seul le Christ, au centre, semble être mort serein. Il a l’air de dormir. Les autres ont les jambes qui se tordent. L’enfant fait remarquer que pour tenir le corps sur la croix, il a fallu planter des clous à travers les mains. Ce détail-là l’interpelle plus que le reste. Il hésite entre fascination et horreur.

Lune montre maintenant un petit format intitulé Paysage de Loire. C’est un peintre dont elle ignore tout – Edouard Debat-Ponsan – mais ce morceau de sable aux teintes ternes pourrait infuser l’enfant feu-follet d’un peu d’apaisement. Il regarde. Quelques secondes, au plus. Il dit si je savais dessiner, je voudrais bien faire comme lui. C’est comme si j’y étais, au bord de la Loire. Les couleurs, c’est pareil, et puis la tranquillité aussi. Il y a personne que j’ai l’air de déranger. Les herbes et le sable, c’est toujours content.

La jeune fille affirme qu’elle pourra aller avec lui au bord du fleuve. Mais peut-être pas cet après-midi, parce qu’elle a des choses importantes à faire. Stéfane ne voit pas ce qu’elle peut avoir à faire de plus important que d’aller voir la Loire avec lui. Elle répond avec pudeur qu’elle doit trouver une maison et un travail.

Alors qu’elle prononce ces paroles sur le ton le plus léger possible, la mère de l’enfant s’est approchée. Elle est frappée par le calme inhabituel de son fils, la gentillesse de la jeune brune. Elle est blessée aussi car, en creux, dans ce tête-à-tête serein, se dessinent ses insuffisances. Mais elle saisit ce qui lui semble être une bénédiction. Elle propose à Lune de l’engager comme fille au pair. Elle est seule, elle reprend le trente-et-un août et cherche quelqu’un pour aider son fils au quotidien, dans les devoirs d’école et le reste, afin qu’elle puisse se concentrer un peu sur son travail. Elle l’accueille dès ce soir, si elle veut bien.

Stéfane s’écrie qu’elle n’aura pas le droit de rentrer dans sa chambre, et Lune accepte. Justement il lui demandait tout à l’heure de l’aider à faire ses devoirs de vacances. La mère s’appelle Sylvie, elle tend la main à sa nouvelle employée. Derrière sa froideur polie, Lune sait à présent son désespoir. Ils gagnent tous les trois l’appartement de Stéfane et sa mère pour déjeuner. L’enfant a faim, et Lune est plus affamée encore.

Des tableaux bouleversants

                                                                                                              A Quyên et Aldor


Aldor parlait il y a quelques temps, des beautés bouleversantes. Ce week-end, j’ai eu la chance, le privilège, d’être bouleversée, émue aux larmes par quelques tableaux découverts à Paris.

L’exposition « Paysages mystiques » au musée d’Orsay  offrent quelques œuvres devant lesquelles tout trembla.

D’abord, Le semeur, de Van Gogh dont aucune photo ne rendrait la force symbolique, le trait généreux et spontané, cet homme humble qui sème la lumière, l’intensité du grand soleil. Nous sommes bien loin de l’anecdotique scène d’extérieur. Mais au-delà de tout cela, qui me tint figée devant ce très petit format, je fus frappée par le sentiment de l’urgence de peindre, par ce soleil si simple et tout offert, par le regard posé par Van Gogh sur la scène.

le semeur van gogh

Il y eut aussi deux grands arbres – Rosiers sous les arbres, Klimt – qui foisonnaient de vie et de couleurs, dans un éclat si doux et si subtile qu’ils semblaient rendre, offrir, créer la Paix. Des rosiers clairs s’animaient à son pied et puisaient leur vie, leur beauté, leur abondance dans la multiplicité protectrice des arbres printaniers. Un petit tableau vert saisissant de fraîcheur, de tendresse, de Vie.

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Enfin, un tableau de Chagall  –  Au dessus de Vitebsk – se faisait très discret au milieu d’œuvres imposantes qui étalaient leur technique et me laissaient de marbre. Je n’ai vu que lui dans cette salle intitulée « Paysages dévastés ». De la neige et une église aux toits bleus, une barrière verte, et cet étrange bonhomme gris suspendu au dessus de la ville. Paysage enfantin et simple auxquelles les deux seules couleurs vives disaient l’amour et la beauté des souvenirs anciens. Mais cette neige était triste et je ne comprenais pas pourquoi. Elle nait, cette tristesse, dans cet homme penché que son déracinement a privé de couleurs. Son baluchon sur le dos dit que c’est un homme qui passe. Et son regard, profondément, intensément triste. C’est le vieil homme séparé de son enfance, du village de son enfance. Il ne lui est plus donné de fouler la neige éclatante, d’être dans sa lumière. C’est un tableau sur l’exil, je crois. J’ai beaucoup pensé à Frog en le regardant. Il a fallu m’arracher à la contemplation et c’était une violence.

Au-dessus de Vitebsk 1914

D’autres tableaux m’ont touchée, certains m’ont simplement plu, ceux-ci ont remué quelque chose très profondément en moi, et c’était à chaque fois une émotion nouvelle. Il en va en peinture comme en littérature, mais peut-être la peinture a-t-elle une puissance plus charnelle, plus immédiate, plus saisissante.

Enfin, A Maillol, dans la fabuleuse collection Rosenberg, Julia m’a fait entrevoir (à travers une reproduction) un tout petit format rose de Marie Laurencin qui m’a ôté les mots: Anne Sinclair à quatre ans. Comment un si petit portrait peut-il à ce point dire l’enfance, et, plus exactement, ce qui me touche particulièrement chez les petits enfants: ce mélange de candeur profonde et de gravité ronde?

Un bleu doux et grave,

Et l’enfantine conscience,

D’un visage rose.

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Les photos ne disent rien , mais peut-être susciteront-elles le désir de faire l’expérience de ces regards clairs.