Théâtre et transparence

Les chaises et les bureaux attendent dans le silence du matin. La salle est nue, nue des cœurs qui viendront battre en elle,  et des voix, et des soupirs poussés, et de la chaleur émanée des enfants au travail. Cette nudité de la salle est douce comme celle d’une femme qui dort. Douce et mélancolique. Le calme, avant ou après l’effervescence, se savoure. Mais l’été qui vient rappelle sa loi: tous ceux ont vécu ici un peu de leur année s’en iront bientôt vêtir d’autres lieux.

Ce matin, il y a une promesse de ciel au dehors, et des oiseaux dans les arbres de la cour.

Je suis assise, relisant quelques notes. Rien ne bouge sinon à l’intérieur de moi. Oui, quelque chose s’agite, se tourmente un tout petit peu. Quelque chose entre l’impatience et le désir d’épouser à jamais la nudité de la salle, le silence. Garder le bruit seulement comme un horizon qui ne s’approchera jamais. Ne pas se confronter. Mon cœur nu et la salle nue s’entendent bien dans cette attente accrochée aux minutes.

Soudain, il faut entrer en scène. Nuée d’élèves et bonjour et chacun prend son costume d’une heure : les chaises se parent d’enfants, les tables de cahiers, les enfants eux, acceptent plus ou moins leur rôle, il faudra être élève. Et moi, je me voile sous mon écharpe professorale : les rituels, le langage, le ton assuré de la voix – volonté de clarté – le sourire pour dire bienvenue et qu’ici c’est un peu chez vous aussi. Voilà les motifs de ma mantille, que je tisse seconde après seconde. Mes élèves, ils sont vivants, envahissants comme du thym en fleurs. Ils poussent leurs chemins, ils s’éparpillent. Ils m’épuisent. Je les aime.

Dans la classe toute fardée de vie, c’est un petit théâtre, et la scène et la salle sont des deux côtés à la fois. Chacun tient bien son masque. Mais parfois, même sous un tas de misères de tissus lourds d’ennui ou d’autre chose, je les aperçois: ils s’entrebâillent. Souvent, dans la transparence de mon voile, ils me devinent. Un rayon de tendresse nous rejoint.

***

Une petite réflexion, poussée là au passage, à l’occasion de l’agenda ironique de mai que tient toute nue Valentyne. C’est sympa de pouvoir jouer 2 fois!

Septembre

Logo des jeudis poésie pour ceux qui écrivent...

Parce que jeudi, c’est poésie (et c’est Asphodèle qui l’a dit, et quel plaisir de la retrouver!), je me pare de ma robe à paniers pour l’élégant salon du jour,  et voici quelques mots, un peu trop convenus, peut-être. Mais ce sont les seuls qui viennent en cette semaine de rentrée. Je les donne à mes élèves retrouvés  et à l’année  nouvelle qu’Asphodèle vient fleurir.


 

A l’année dont la porte s’entrebâille seulement

A vos enfances que je voudrais couver

 

Tout est neuf et tremblant

Les mots pèsent de leur poids dans les paumes des mains

Et tout ce qui remue et tout ce qui se tait

Et l’odeur de la craie

Et celle des encres libres sur les pages trop blanches

 

Et viennent les semaines

Et viennent les fatigues

 

Loin sont encore les fracas de l’usure

Les pas se font timides

Et les yeux se rencontrent

 

Et viennent les semaines

Et viennent les fatigues

 

Sous vos regards las murmureront vos cœurs

Sous mes airs de bois vert il y aura

La mousse tendre des forêts, le chant de l’eau

Vous y boirez

 

Nous irons côte-à-côte nos mondes se frôlant

Dans de fragiles franges ou grandiront bientôt

Des semailles de joie et de secrets trouvés

 

Naviguer entre les lignes

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« Larguez les amarres ! »

Je pars, tenant serré le bord de ma petite embarcation. Je l’ai faite de bravoure –  d’aucuns diraient de bravitude (mais l’ironie moqueuse ne doit pas être de ce voyage-là – ah si ?). De bravoure, disais-je, pour affronter les monstres d’incongruitude. Mais comme du courage, je n’en avais pas des kilos, voilà qu’elle est modeste. Nous verrons bien, foi de marin – je dis foi, et non pas foie, car je ne peux pas promettre tout à fait son état, à ce foie là, après ce long voyage qui nécessitera, plusieurs fois (ou foies, ça marche aussi ici) sans doute,  une lampée de mazout, de rouquin si vous préférez – et profitons que le vent me jette  malgré moi dans l’aride océan.

J’ai dépassé les premières lignes, les voiles se gonflent d’un peu de correctitudes  qui passaient là, fortuites et bienvenues. Mais déjà, je rame ! Plus de vent ! L’île aux Délices joue à cache-cache avec l’horizon. J’avance à la sueur de mots pleins de sollicitude, et l’encre rouge s’empèse de désespoir. Un peu de café noir en attendant le vent. Gardons la bibine pour plus tard.

Je transpire devant l’attaque brutale, mais prévisible, de vagues rugissantes qui hurlent en bleu turquoise qu’il y en a assez de la syntaxitude et qu’elles veulent la libertitude (bon, bon, soyons honnêtes, respecter en lieutenant toutes les règles, toutes les consignes, toutes les contraintes, s’avère parfois répétitif, un peu pataud, et pas très beau, non ?).

Alors je rame, je rame avec mes pauvres planches vermoulues de concordances, de participes, d’accords, de synonymes, de propositions principales et subordonnées. Elles sont tristes et sérieuses. Elles tentent de ramasser, après chaque vague révoltée, les cadavres des passés simples écrabouillés.  Heureusement, le temps se lève, car c’est tristement panne sèche. Plus de mazout, de bibine, de rouquin! Plus de café non plus. Il fallait bien tout ça au cœur de la tempête.

En accostant, je savoure d’ultimes vaguelettes qui chantent la fantaisie, qui susurrent quelques mots nouveau-nés, au charme déluré. L’île aux Délices est là : terre de repos, sacrée. Je jette l’encre rouge en m’essuyant le coeur.

Fin de la correction. Mon  tout petit bateau, plus frêle que jamais, se repose au roulis des poètes. Il est bien fatigué, mais ce n’est rien, avec un peu d’humouritude, je vais lui refaire une santé.


Très grand merci à Carnetsparesseux 

Qui lança le jeu

et puis à l’écri’turbulente

Qui accueille des bateliers la chanson lente!

MON COUP DE COEUR pour un autre voyage chez Frog

Pour découvrir d’autres périples maritimes savoureux et choisir votre embarcation préférée, passez par cette voie d’eau!


SDP (Salle Des Professeurs/Silence Du Professeur)

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Silence                 Tout commence

A peine

Silence                 Timide entrée

Dans la neuve journée

Silence                 C’est le vent

Que l’on entend

Silence                 Du désir avoué

Du nid abandonné

Silence                 Avant le chahut

 

Chaleureux

Volubile

 

Silence                 En attendant

 

Silence                 Du lieu quotidien

Qui n’est pas mien

Silence                 Et que vienne

Le bruit des enfants

 

01-03-2016, Matin-atmosphère-salle des Professeurs-anaphore

M. L’Inspecteur

 

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Le matin de cette grande réunion, M. l’inspecteur s’était habillé pour la circonstance. Il se voulait élégant mais pas trop grave, sérieux et dynamique à la fois. Non qu’il soit anxieux, il savait cependant que le public qui l’écouterait avait la dent dure. Il avait choisi une cravate rose et gaie, que sa femme lui avait offerte, la jugeant raffinée.

l’inspecteur accordait à son épouse, pour ces détails qui avaient leur importance, toute sa confiance et préférait consacrer son énergie à un projet de grande ampleur, sa carrière, dissimulée elle-même derrière cet intitulé pompeux : la Réforme du Collège. Sans être profondément convaincu du bien-fondé de cette gigantesque usine à gaz ouverte récemment par le gouvernement, il tâchait de faire bonne impression, de tenir son rôle avec dignité. Il fallait, sinon briller, au moins paraître acquis à la cause des changements prévus par Madame la Ministre. Avoir l’air respectable. Le choix de la cravate était en cela crucial.

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