Dîner d’écrivain

A Monsieur Paresseux, en guise de remerciement sincère pour ce qu’il sait.

Soirée de réveillon chez l’écrivain. La nappe est blanche comme le chaperon est rouge. Les galettes et le beurre sont disposées sur une assiette en porcelaine de Limoges parce que c’est important pour lui, le patrimoine local. Et vous avez aussi deviné que les galettes et le beurre n’ont pas été choisies au hasard, oui oui, ce sont les galettes et le petit pot de beurre, ni plus ni moins. Bref, tout est parfait pour cette dernière soirée de l’année. Il y a des bougies allumées sur la table, et la chevillette attend sagement qu’on la tire.

L’écrivain, parce que c’est jour de fête, veut remercier tous ceux qui viennent, les autres jours de l’année, se plier à ses fantaisies en se couchant docilement sur son papier. Alors il a rangé sa plume et sa page du jour est aussi blanche que la nappe. Tant mieux, tout le monde mérite un jour de congé, même l’auteur et ses personnages, non? Voilà, voilà, le couvert est dressé avec mille précautions: un vase au long col pour la cigogne et une large écuelle pour le renard (ce n’est pas le jour pour les mauvaises plaisanteries). Pour certains, c’est assez simple de les contenter. Mais pour d’autres, c’est une autre affaire. Le loup avait une place de choix: entre le petit chaperon rouge et la grand-mère. Bien sûr, l’écrivain s’est demandé si la place était aussi agréable pour la petite fille et la vieille dame, alors il a mis le chasseur juste en face du loup, avec le fusil pas loin. Mais du coup, il s’est dit que ce ne serait peut-être pas trop confortable pour le chasseur de devoir surveiller le loup comme les autres jours de l’année, ni pour le loup d’avoir le fusil braqué sur lui durant tout le repas. Alors il a enlevé toutes les étiquettes placées sur les jolies serviettes et il a tout recommencé, en plaçant d’abord les autres convives, on verrait après pour les cas compliqués.

L’écrivain a repris ses notes (et oui, on y revient toujours quand on ne sait pas faire autrement) et il a considéré la liste des autres invités. Il en restait six, et non des moindres: la chèvre, Monsieur Seguin et le loup (ce qui faisait d’ailleurs un autre loup à caser ni trop près ni trop loin de la chèvre, du chaperon et de la grand-mère), le corbeau, le renard (un deuxième renard, donc), et le fromage. L’auteur, paresseux et malin à la fois, ne veut pas de dispute – un personnage qui partirait fâché risquerait  de le planter là pour les histoires qu’il a l’intention d’écrire  le nouvel an venu – et surtout, il ne veut pas de tâches rouges sur la nappe blanche parce que c’est long à nettoyer et que les gouttes de sang sur la neige, c’est déjà pris par une histoire du Moyen-Âge qu’il n’a pas du tout l’intention d’exploiter.

Voilà finalement comment il a organisé les choses: les loups et les renards seront tous d’un côté de la grande table,  et en face, il y aura le fromage, voisin de la grand-mère. Là, il ne craindra rien, parce que la vieille dame sera occupée par les galettes et le beurre sacrifiés pour leur part sur l’autel de la convivialité. L’auteur pense à leur propos qu’il pourra avantageusement les remplacer dans les contes de l’année prochaine, par du vin et du saucisson, ou autre chose, et que cela s’est déjà vu, d’ailleurs. Donc le fromage et la grand-mère, et puis qui? le chaperon bien sûr, qui sera bien content de profiter d’une grand-mère sans grands-yeux-grandes-oreilles-grandes-dents! Enfin à la droite du chaperon, les volatiles, qui auront et plumage et ramage pour rivaliser. La chèvre sera assise à côté de la fenêtre, afin qu’elle puisse s’évader si bon lui semble. Monsieur Seguin ne s’inquiètera pas de trop, puisque les loups seront là, à ripailler gaiment. D’ailleurs Monsieur Seguin sera en bout de table, à côté du chasseur, entre les deux clans. Le chasseur n’est pas dans toutes les histoires du chaperon rouge, mais  l’écrivain s’est dit que l’inviter quand même ne serait pas inutile. Et il est sûr qu’il s’entendra bien avec Monsieur Seguin, ayant avec lui un ennemi en partage. Lui, l’écrivain, il s’assoira à l’autre bout de la table pour couver du regard tout son petit monde.

Le chaperon arrive en premier, une fois n’est pas coutume, tire la chevillette et caetera, la grand-mère suit et tous les autres arrivent après elle à la queue leu leu. Monsieur Seguin et la chèvre arrivent un peu en retard et tous les deux essoufflés car l’un a couru après l’autre, on ne se refait pas.

Le dîner est assez gai: les renards tiennent conciliabule, et les loups dévorent si goulument les galettes qu’on leur sert qu’ils avalent aussi la porcelaine de Limoges. Tant pis pour la conservation du patrimoine, pense l’écrivain, le jeu en vaut la chandelle. Les autres personnages bavardent joyeusement, se plaignent ce qu’il faut de leurs misères, et des loups surtout, et des renards aussi. Leur connivence fait plaisir à voir. Pour une fois, l’hôte n’a pas sorti sa plume. Il mange sans parler, mais des conversations, il n’en perd pas un miette. Repas de fête ou non, il faut prendre l’inspiration là où elle se trouve. Et chacun sait que ce sont toujours les personnages qui donnent le la.

Cela d’ailleurs, le corbeau ne l’a pas oublié -mais il a oublié, une fois de plus, le fromage, qui se tient coi et rond sur son tabouret (mais a-t-on jamais vu un fromage faire des commentaires?). Donc, le corbeau donne le la, mais le do aussi, et le si, et le sol, et le ré, sans répit, à la cigogne subjuguée. A la fin du repas, l’affaire est dans le sac, la demoiselle n’a plus de bec que pour l’oiseau noir et ses brillantes vocalises. Alors que chacun prend congé après les embrassades rituelles – mais néanmoins prudentes – de minuit, le corbeau, tenant la cigogne par la plume, adresse en s’en allant un clin d’œil complice à son écrivain car c’est à lui qu’il doit toutes les histoires qu’il a eu pour s’entrainer.

Le testament – Agenda ironique de Décembre

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A vous, (dont je me fiche comme de mon arrière grand chien à la mode romaine, mais c’est tout de même triste de partir sans faire de testament dans lequel malgré tout je m’efforcerai de dire la vérité,)

 

(Étant agonisant, vous pardonnerez les soubresauts de mon langage qui, de plus en plus, déraille comme la boisson dans son bocal. Quant aux prothèses en abondance,  ma foie de volaille, je n’y peux rien. Et puis, ça vous arrivera, à vous aussi. Merci de votre malédiction.)

D’abord je sais bien comment vous allez m’enterrer. Ce ne sera pas très simple (puisque vous aimez les chihuahuas)  mais assez rapide, comme l’autoroute et comme d’habitude : cotillons – flonflons – couic.  Salut la marmelade.

Et puis, au réveil, vous aurez la soupière en carafe. Çà aussi, ce sera comme toujours. C’est triste de penser que ma mort n’aura rien d’original. Pomme d’api.

 Je sais aussi ce qu’on dira de moi: « Tu nous as collé au lampadaire comme une pomme accrochée à sa botte en cuir. On a  bien mis un an à se débarrasser de toi ! Et avec ça, pas un rond, ni rouge, ni vert, rien! que des ennuis ! Bon ventre ! » Personne n’échappe à vos langues de pipe, c’est la couture, chez nous.

C’est pas que j’ai le melon jaune moi, je sais bien que je n’ai pas toujours été à la hauteur d’échelle, mais enfin, c’était pas si pire. Et le prochain, là, le petit nouveau, celui qui débarquera de son Get 27 à la seconde, oui à la seconde où j’aurais passé la cruche en l’air, cet ado blanc comme un chiffon propre, il ne fera pas mieux, pas pire. Seulement, vous allez croire en lui, le temps de quelques rasades de champagnon des bois. Vous allez tirer des plans sur la maison des voisins, et rêver. Rêver…comme des limaces un jour de grève. Quelques minutes tout au plus. Une souris verte et puis voilà.

Après, vous prendrez de bonnes distributions, et le champagnon aidant, elles seront de plus en plus incroquables, mais tant pis, ce sera le moment ou jamais pour cramer. J’imagine déjà vos messes :

  • Je ne vendrai plus la boite en fer avant de l’avoir jeté par la fenêtre.
  • Finie la cigale, j’arrête ! et la colle aussi !
  • Il ne faut plus prendre les parapluies pour des sirènes (et vous rajouterez, convaincus et convaincants : « non d’une pipe en boîte ! », et tout le monde sera content parce que les pipes sont toujours trop aventureuses).

Ensuite, comme vous n’aurez pas encore arrêté la colle, ni le poids chichon (c’est toujours pour le lendemain ce genre de choses ; croyez-moi,  je m’y connais en jours qui passent comme vache qui pisse: c’est mon fonds de compère et ma guillotine. Tontine), ça va devenir coton comme devant. Voyez donc :

  • Il faudra prendre le bus de paner de bon froments avec les jantes qu’on aime.
  • Je ne mâterai plus de chochos là avec déchet.

Bref, je ne fais pas toute la piste, parce que vous la ferez vous-mêmes d’ici peu, et je ne la ferai pas même si, quand vous lirez ce document (qui pourtant se situe bien plus haut que sa deuxième syllabe et ne dit rien que le verre et le thé), vous l’aurez sans doute remisée aux balayettes.

Enfin, puisqu’on s’est tout dit, ou presque, et que toutes façons c’est trop rat, je vous ivre mes derniers chimpanzés :

Que 2018 vous assaisonne la cervelle comme vous m’avez  ourdi les mireilles.

 

Signé : 2017


Ecrit pour l’agenda ironique de décembre : « Non d’une pipe en boîte, il ne faut plus prendre les parapluies pour des sirènes », dont Anne a formulé la consigne en toute limpidité ici, après qu’on ait ensemble chuchoté à l’oreille des orangs-outangs.