la dernière fois que j’ai écrit un poème

Je me souviens de la dernière fois que j’ai écrit un poème. Souvenir précis et lointain à la fois.

La fenêtre m’offrait un grand arbre clairsemé par la pluie d’automne, et qui répondait au sommeil des enfants. La pièce était comme ça, très haute, accrochée à un mur de vertige. Il fallait se pencher pour deviner, à son pied, une rivière.

J’étais seule. Et bien que l’arbre m’invitât délicatement au bonheur, j’ignorais à demi le goût de cet après-midi sans fièvre. Tout s’était miraculeusement écarté autour de mon désir d’écrire. Le quotidien perdait l’âpreté de ses contours, comme s’il n’existait plus qu’à travers une vitre de verre dépoli. J’écrivais un rêve qui lentement faisait des cercles autour de mon cœur. C’était un rêve qui disait adieu. Je prenais le temps de dire la lumière de ce rêve, de convoquer encore une fois la maison perdue.

J’écrivais. Je savais bien que c’était rare, d’écrire ainsi dans le silence et l’orbe d’un feuillage frêle, dans la douceur de ce qui va bientôt finir. C’était un instant d’immobilité illusoire, de discret basculement. Pourtant, je ne savais pas, je ne savais pas suffisamment,  que c’était si beau, si précieux, d’être ainsi suspendue à la croisée des choses.

Je guettais, en écrivant – j’attendais presque –  le réveil des enfants.

 

arbre haute loire

C’est un rêve

c’est un rêve

 

l’été  a brûlé les fenêtres

le basalte patiente

à côté de moi

 

ailleurs d’autres parlent

tranquilles

– comme si ce n’était pas la dernière fois!

 

dans la cuisine

des rayons fous apportent

le goût de la montagne chaude

 

je ne dis rien

je fais une salade immense

de lumière

 

c’est un rêve qui persiste

sous ma peau de pluie

c’est un rêve qui refuse

que je m’en aille

 

20 mars

Dans l’eau de mon thé flottent

En s’ouvrant des violettes

Et le jasmin s’enroule

Écharpe de soie blanche

Autour de mes pensées

 

Je songe

Je songe à ma fille

Violette

 

Vingt mars

Son premier regard

S’ouvrait sur le printemps

Qui naissait

Aux saisons de ma vie

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Les paysages-puzzle

Je cours. Je cours dans le soir d’avril. Grandiose nature à l’heure où tout s’endort. Tout chante et rien ne bouge. Des oiseaux invisibles me saluent de leur doux pépiement. Musique du crépuscule. Je me fais discrète pour ne pas déranger ce moment d’absolu.

Je cours. Gourmande, je m’offre le ciel rose, comme une immense sucrerie. Et les collines s’étalent, rondes comme des mères. Elles veillent tendrement sur le monde au berceau. Je les sens, accueillant le bruit mat et régulier de mes pieds sur le sol. Ô rythme bienfaisant. Écho vital.

Je cours si tranquillement que j’effleure à peine le monde. Et sous mon souffle chaud, des carrés colorés se détachent. Vert dans la lumière du soir, jaune qui s’assoupit. Saveur intense et sombre de la terre toute humide. Et, funambules entre les champs, les fleurs se pomponnent sur les arbres ressuscités de l’hiver.

Contemplant l’œuvre humble et sublime du travail des hommes, je cours et me souviens.

Enfance. Sur une feuille blanche, de vagues collines toutes habillées de parcelles colorées, rayées, fleuries, étoilées. Je dessinais avec une minutie de petite fille qui s’absente du monde à force de concentration. Je dessinais, dans un bonheur très simple, et très pur, des « paysages-puzzle ».

Sacre de cet instant crépusculaire qui me rassemble. A la cadence douce du souvenir qui monte, je sens que ces échos lointains valent tous les amours et tout le bruit humain. Intime compagnie.

En moi plus jamais seule, je cours au milieu des paysages-puzzle de mon enfance.

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