L’aube à peine avait levé le monde

L’aube à peine avait levé le monde.

Les premiers pas des enfants frôlaient doucement le silence.

L’air était encore tendre aux talons de la nuit.

Les murs de la maison avaient leur respiration grise.

Dans une chambre s’élevait, déjà, une tour faite de chuchotements.

 

Ne rien déranger et invisible demeurer l’étrangère de ce petit matin.

Ne rien perdre, surtout, ne rien perdre.

Et ployait pâle et frêle ma page sous le poids du désir.

 

Mais le ciel montait. Et tout était plus clair et plus net et la tour des enfants était tombée dans l’éclat de leurs voix.

L’aube mystère avait dans la lumière d’hiver emporté son poème.

Mon amour

A Toi.

 

Nos cœurs sont riches

Mon amour

De ces deux mots que l’on s’adresse

Et de notre maison que nous rendrons

Plus vieille que ses pierres

Qui ont connu les rois

 

Mon amour nous sommes riches

D’une terre choisie au milieu des collines

Du lent travail des jours

De nos luttes au matin pour ce que nous croyons

Et de l’absence de rêves fous

De quotidien dans sa mesure

Sacrée

 

Et la confiance au monde

De Violette et Camille

Le  rire de nos amis autour de notre table

Sont les cerises mûres

Du printemps de nos vies

 

Nous aurons des rides faites de notre amour

Des mots sillonnant notre chair

Pour dire le temps que nous aurons reçu

Car le poème enfin aura laissé sa trace

Et  nos mains connaissant notre histoire

Iront  aveugles et sûres

Comme des branches d’arbre

Se mêler l’une à l’autre jusqu’à toucher la terre

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CAFE m. Verlaine

Pour l’agenda ironique d’octobre que notre cher M. Paresseux organise ce mois-ci. Il n’y avait qu’une photo, et après… débrouillez-vous. Enfin, si j’ai bien compris!

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Parfois sur de vieux murs

Entre deux lacets de montagne

On laisse

A la lame des ans

Une inscription muette

 

CAFE

La vie est passée là

Nette comme quatre lettres

Mais les portes sont closes

La façade s’effrite

Grise comme mon cœur

Rêvant devant ces mots

Qui ne me disent rien

Qu’un passé silencieux

Comme les portes closes

Et la façade grise

 

m. Verlaine

En écriture ronde

Ce n’est pas le poète

C’est un homme oublié

Dont le nom est un leurre

Et seulement demeurent

 

Nos interrogations

Le goût des jours

Pass the flavour, lança Frog pour l’agenda ironique de septembre. Son billet d’ouverture était vif et joyeux, invitant à ripaille et mots heureux. Une épice, au moins, doit se mêler de l’histoire, et l’ironie la pimenter.

Cependant, l’humeur est un peu vague, et je déballe ce que je voulais gai et qui se fait plus morose qu’attendu. Si le soleil revient, je participerai encore, car le sujet est beau.


 

Mon enfance ne fut pas sucrée comme une pêche, ni offerte comme la cannelle, ni vanillée, ni tranquille. Mon enfance avait l’âpreté du désir : il fallait grandir. Il fallait édicter son chemin, soulever les lourdes pierres du devenir, se faire lumière. Chercher dans la nuit de mon lit la juste route pour mes pas, conjurer les effrois de la mort qui très tôt me privèrent d’innocence, apprivoiser la certitude de mes failles profondes. Sentir les regards sûrs que l’on posait sur moi, l’enfant miracle, accepter qu’ils se trompent. Se battre cependant, ardemment, se battre, puisqu’il n’y avait pas de vie sans combat. Et je ne sais trop pourquoi cette idée-là germa. Sont-ce les corps fragiles de ma mère, de ma sœur, et le mien trop vaillant ? A moi la lutte, aussi, sinon qui aurais-je pu être ? L’amour pourtant prit le pas sur le noir, laissa sur les journées sa belle poudre d’or. Tout se conjuguait bien puisque nous étions quatre. Et je portais en moi, également intenses, le goût raide de corde et celui de menthe fraiche. Explosions toniques de gingembre et d’angoisses, bonheurs encore neufs, tout vifs, inentamés.

J’ai croqué les années qui crissaient sous mes empressements, la légère bourrache fleurissait ma jeunesse et l’anis étoilait mon âme faite de ciel et d’infinis possibles. Ainsi, dans mon étroite cuisine aux immenses fenêtres, coincée entre les toits pleins de niches secrètes et  de chats familiers– seigneurs alanguis sur les tuiles du Vieux Lyon – j’accumulais, dans de petites fioles en verre, toutes les épices possibles. Je cherchais, j’achetais des couleurs, et je mêlais des mondes au dessus des fourneaux. A grand renfort de paprika et de curry, de curcuma et de baies roses, de badiane, de coriandre et de Raz el Hanout, de safran et de cumin – celui-ci c’était les dieux qui le donnaient – je dilatais l’espace, je colorais le temps, mon geste était leste et précis. Mes alignements de poudres vendues prix d’or m’assuraient le voyage, la nouveauté, l’intensité des jours. A cette époque-là, je cuisinais comme je vivais, dans une frénésie douce faite de découvertes et de plaisirs neufs. C’était une joyeuse effervescence. Je n’avais pas oublié la mort ni ma médiocrité, mais je m’agitais tant, j’aimais tant, je lisais tant, que ces vieilles certitudes me donnaient seulement, comme la morsure du piment, le sentiment de l’urgence. Urgence de vivre, de se créer soi-même, d’explorer l’infini. Entrouverte maintenant la large pièce du bonheur. Il n’y avait qu’à tendre la main : pépites venez à moi puisque je viens à vous. C’était facile. On me disait que je cuisinais bien.

Je ne sais pas vraiment ce qui lentement me mena vers les jours que je vis. Le temps fit son travail, peut-être. Un amour qui s’étale sur le fil des ans, le rythme réglé des semaines. Les épices sont là, dormantes, dans ma grande cuisine qui verse dans les collines les pensées que j’effeuille. Je cuisine beaucoup moins, une branche de thym habille le quotidien. Je ne pourrais pas dire ce que me sont les heures : ou douceur ou fadeur. Les joies sont très profondes et m’enserrent en silence, touchant insidieusement aux nœuds de la mélancolie dans les froidures blanches du brouillard automnal. Pointent aussi des regrets quand j’ouvre le placard où les fioles d’autrefois m’attendent vainement. Tout est très établi et c’est inconfortable. J’aimais l’inquiétude, j’aimais ma vie encore informe –il fallait inventer –  et, alchimiste impatiente, j’aimais sentir se répandre sous ma peau les frissons des saveurs que je savais trouver. Aujourd’hui, la vie a moins de goût. Ou est-il seulement plus ténu, plus sincère? Quelque chose dans l’air me souffle que reviendra bientôt le temps d’intimes inventions. Je l’attends, je l’espère, puisque rien n’est figé, puisque tout passe, puisque je sens en moi un vent qui tourbillonne et qui guète son heure.

Et pourtant, dans le creux de l’attente, se trame le plus beau. Moins de goût, plus de bruit. Ce sont des fracas d’innocence, des claquements heureux, qui occupent le temps. C’est le bruit des enfants, leur parfum d’avenir.

 

La Perte

La perte en une phrase, disait Joséphine qui imprégnait à l’agenda ironique de juillet sa couleur délicate, nous laissant ainsi devant le monde entier à dire dans un même souffle. Naissance dans ma respiration douloureuse de ce jour d’une longue phrase poème, qui ne sera sans doute qu’un début, un essai, un premier débordement de la Perte en moi-même.


 

 

La perte s’installe en moi comme un sillon creusé jusqu’à se faire épine

Et la phrase s’éteint

Etouffée par

Le vide

 

Ton visage s’enfonce

Ton visage

S’efface

 

Mais

 

Je veux garder mes larmes chaudes et ton regard et tout accumuler ce qui s’anéantit

Ne rien laisser glisser ni les voix ni les soleils ni les automnes ni tes lèvres ni les pensées du  soir de l’enfant dans son lit

Et je ferme les poings où sèche malgré moi

Ma peine

 

 

Alors je me lime sur les cailloux du temps

Je me dépouille

De mon désir-lame  tenir toutes ensemble et toujours embrassées

 

Les secondes perdues et les amours mortes.

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Une croix dans mon calendrier

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A mon ami, mon grand ami.

Certaines dates comptent plus que d’autres. On fait une croix dans le calendrier, on y griffonne quelques mots. On la contemple de temps en temps, cette date griffonnée. Il faudra y penser.

Le 9 mai se griffonne dans mon calendrier depuis quinze ans déjà. Quinze ans qu’ensemble, nous égrenons nos âges et fêtons le temps qui nous lie. Impérieuse et douce contrainte que l’on a ancrée, comme des lumignons posés sur le sentier de nos vies.

Pourtant, nous ne sommes pas de ceux qui déterminent les souvenirs à un point fixe du passé. Nous ne les redessinons pas sans cesse, comme d’autres consolident, parfois, à grand renfort de calendriers jaunis, le socle de leurs sentiments. Nulle nécessité pour nous. Nous plongeons quelquefois  fois de concert dans tout ce que nous fûmes. Ces moments ont le goût d’une vieille liqueur, aux arômes puissants offerts par les années. Mais nous ne comptons pas, nous ne replaçons pas les choses en leur place sûre sur le fil du temps. Foin de l’exactitude qui voile les profondeurs. D’ailleurs, je ne me souviens plus de ton premier visage, ni de nos premiers mots. Au milieu de tant d’autres visages, il y a eu, chemin faisant, une élection. Une élection mutuelle de nos âmes aimantées. Et rien n’était besoin d’être dit, et tout était senti. Au milieu de tant d’autres, nous portions en silence, et en conscience, les années à venir qui nous seraient données.

Et depuis ces années, dont la trace me charme plus encore à mesure qu’elle se brouille, je ne me souviens plus qu’autrefois, bien avant, nous ne nous connaissions pas. Tu es là. Comme un morceau de bras, comme un bout de mon cœur. Tu me constitues tant que je n’ai peut-être pas vraiment existé avant, ou je n’étais pas complète. Ou maintenant que tu es là, je ne pourrais être complète, sans ces 9 mai cochés dans mes calendriers. Tu es là au-delà des Lyon-Paris qui sont trop rares, tu es là dans les longs silences et les téléphones muets, tu es là du bout du monde sur mon écran, tu es là comme main dans la main nous marchons dans la vie. Le présent nous suffit, même s’il se fait rare. Pas besoin de compter dans le rétroviseur et les moments donnés ont une autre saveur que seuls nous connaissons. Tu es là et si tu ne l’étais pas, rien n’aurait le même sens, ni la même couleur, ni la même solide confiance en la vie comme un cadeau reçu.

Nous sommes des amis silencieux au milieu de nos futilités. Ta présence ne se commente pas. Ta franche présence. Tu sais le poids des mots et tu parles à raison. Tes mots sonnent dans l’air avec le tintement net, et doux, de la sincérité mûre. Tes mots sont aussi clairs que tes grands yeux que j’aime. Ta pureté d’être toi. Tu dis tout ce qu’il faut, tu ne déguises pas, ton regard transparent lève tous les mystères. Tu fais naître mon rire avec un mot ou deux, remplis de tes vérités crues. Tu es ma lumière blanche promenée sur le monde.

Nous sommes des amis éparpillés en France et nos vies ne se mêlent plus comme aux premiers moments. Mais elles vont côte-à-côte et se touchent toujours, dans ce frôlement fait de mille petits nœuds qu’aucune main habile ne pourrait défaire. Les croix dans nos calendriers sont de ces petits nœuds-là et si nous les comptons et ne comptons que ça, c’est pour sentir nos mains serrées et les bruits accordés de nos pas vers demain.

A Toi, Pierre-Luc. La croix était plus grosse cette année : 30 ans. Joyeux anniversaire.