Basalte

Longe les orgues

longe

la paroi te regarde

toi qui passes qui ne fais que passer

Longe longe le grand basalte

qui te regarde

et le soleil

 

Tu portes dans ta chair le lit de la rivière

les galets blancs comme des grappes de souvenirs

plus vieux que ton amour

tu portes les volcans

les vies

tu portes tout cela ne faisant que passer

 

Tu longes les orgues froids dans le soleil d’octobre

écoutant leurs murmures et ton cœur

voudrait prendre

maintenant

la vraie mesure du monde

 

Tu foules pour l’aimer

la terre

cette terre dont tu es faites

dont tu ignores tout

dont tu devines à en pleurer

tout ce que tu ne sais pas

 

Marche marche l’automne et son grand chalumeau

viennent  rougir

de flammes de vigne vierge

et de lumière

tes élans vers le ciel

.

Que faisons-nous?

 

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(Photo by Wolfgang Kaehler/LightRocket via Getty Images)

 

 

La terre se fracasse nous sommes ses bourreaux

Grands pays de plastique les poissons s’y étouffent

Le regard fou

Nappes noires et lourdes et s’engluent les oiseaux allant tout mazoutés s’enfoncer quelque part

 

Terres pelées

Tout y crève

Tout y crève bon sang

Sauf nous – pas encore

Ce seront nos enfants

 

Pendant que le monde noircit comme un poulet oublié dans un four

Qu’il fond par la tête et les pieds

-Déliquescence

 

Pendant que les ours blancs  – si beaux – deviennent des images dans les livres d’enfant

Pendant que les grands singes sont privés de forêts

Et meurent

Et  la cohorte des disparus du monde est si longue et s’allonge nous sommes les chasseurs

 

Pendant que le sable infini que nos mains trouvent doux se mue en béton raide qui finira lui

Dans sa grisaille

Pendant que bientôt nous ne respirerons plus parce que l’air se fait plâtre – mais après qu’on ait tout saccagé

 

Nous, nous, avec ardeur, que faisons-nous ?

Nous soupesons nos poches

Nous comptons des piécettes !

Adoubé par la montagne

Je croyais qu’il me faudrait le pansement de la fiction pour cette histoire là. Mais me défiant moi-même, la vérité s’est imposée, toute crue et cruelle. 

***

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L’homme porte comme une seconde peau son pantalon vert sombre. Raide, rêche, et la terre s’y accroche, mais pas les mains fragiles. Les cotons caressants sont des histoires de femmes. Il ne dit pas de « bonnes femmes », parce que ce ne sont pas les mots de sa famille. Mais c’est cela qu’il pense : c’est un homme, lui, il fait sa tâche.

Penché en avant, malgré ses hanches dévorées d’arthrose, il prend soin de sa terre. Cela fait deux heures qu’il fait propre le lit des œillets d’Inde, justes sortis du noir. Voilà. L’homme regarde l’immense tapis de labeur. Il y a les gaillardes qui couvent les pommes de terre. Elles sont si conquérantes, solides, rassurantes. Les tubercules souterraines peuvent dormir, sereines. Et les giroflées dansent comme des jeunes filles éméchées. Le pantalon vert sombre s’adoucit à la tendresse des fleurs écloses des courgettes. Généreuses, les voilà qui offrent au jour leur délicatesse. Les haricots en pleurent et l’homme est bouleversé par l’accord des fleurs et des fruits du sol qu’il bénit. Étrange et pénétrante harmonie de la géométrie tranquille et du fouillis des fleurs. Il rêve aux cosmos écartelés, aux héliotropes intenses qui élèveront, bientôt, le grand potager vers le ciel. Ils sont la seule transcendance qu’il accepte, qu’il désire, qu’il sente, très profondément dans sa chair. Sensibilité au monde aigüe et toute puissante.

La sueur et les mains noires lui sont données, merci la terre. Ses yeux d’homme se lèvent jusqu’à ses « clos » qu’il soignera demain. Lignes du passé dessiné dans la pente. Il affirme, à chaque coup de bêche, à chaque regard posé, sa servitude volontaire à la rivière vive, à la pierre qui chauffe. Il ne partira plus. De toute façon, il n’y a rien au-delà du bruissement des feuilles. Il sera de tous les labeurs, il fera don de jusqu’au bout de lui à ce trou de verdure qui chante son histoire. Et quand il contemple les arbres portés vers le soleil par les grands orgues basaltiques, tout lavé de verdure et de lumière, il se sait adoubé par la montagne.

Au soir humide et frissonnant, dans la maison de pierre qui parle le passé, il effeuille des manuscrits charmeurs, pleins de volutes tracées à la plume d’autrefois. Loupe, rigueur scientifique, exigeante recherche. Méthodiquement, il fait renaître pères et mères, les lignages aux nœuds pris dans sa rivière. Amour des êtres disparus qui sont comme des secrets enfouis loin en lui-même. Il les écrit, il les raconte. Vieilles photos, robes bourgeoises sur les perrons des belles demeures, mots élégants et molletonnés. Il dépense son cœur, son encre, sa solitude pour ces chignons perdus. Œuvre de délicatesse et de discrétion, car il dévoile des vies oubliées, mais comme il les chérit, il les met en beauté et ne les trahit pas.

Admirable unité de cet homme aux mains faites et d’encre, et de terre. C’est un homme penché. Penché sur ses semis et sur son grand bureau. Penché attendri et sensible. Penché sur les siècles écoulés, penchés sur ses parents. Penché sur la verdure comme s’il la priait. Il offre son cœur cru au terreau de son être.

Mais derrière l’homme penché, il y a un enfant. Germe du renouveau, espérance du nom, souffle de l’avenir ? Non, c’est seulement un enfant. Et l’enfant qui est là voit le dos courbé de son père, attentif autre part. Il a la main trop frêle pour le pantalon vert. Rien pour s’agripper. Il attend seulement, découvrant la tristesse en même temps que la vie, sans pouvoir la nommer. Il a, pour cet homme qu’il voudrait son Papa, de grands yeux éblouis. Il l’implore patiemment de se pencher aussi sur lui qui le regarde.

L’homme au pantalon vert est devenu fantôme dans la maison du bord de la rivière. L’enfant a les cheveux blancs. Il implore toujours dans un épais silence.