Le temps des larmes

Claire, Julie, Pierre et Amar – ch 4

 

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Lune

Margot

Claire, Julie, Pierre et Amar

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Lune – ch 3

Dans la cathédrale

L’art est un prétexte

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En revenant d’Azay-le-Rideau, Pierre et Amar ont pédalé très vite, faisant une course taquine à leurs deux amies. Amar est tombé à force de regarder derrière lui Julie et Claire qui appuyaient de toutes leurs forces sur les pédales pour tenter de les rattraper. La cheville est foulée. Claire le sent tout de suite sous ses mains extralucides. Julie tente de plaisanter encore mais le cœur n’y est plus. Ils ont les soixante  kilomètres dans les jambes et la chute brutale a fauché au passage toute leur joie. Pierre commence à organiser la suite : aller aux urgences, rendre le vélo de location, réserver un train pour rentrer à Paris. Tout le monte parle et s’agite autour d’Amar qui ne bouge plus, assis au bord de la route. Tours est encore à trois kilomètres. On appelle un taxi pour regagner la ville.

Voilà, c’est réglé, dit Pierre quand il a prévenu l’hôpital et commandé le taxi, pris des billets de train pour le soir. Il s’agenouille pour dire à Amar que de toute façon, il rentre avec lui, qu’il ne peut pas le laisser faire le trajet seul avec la cheville dans cet état-là.

Claire est la guérisseuse. Elle fait les gestes qu’il faut, improvise un bandage. Sans elle, Julie et Pierre ne sauraient pas quoi faire. Ce serait la panique. Comme dans la vie d’ailleurs. Sans Claire… Non, la vie sans Claire, ce n’est même pas une éventualité dans le cœur de ses trois amis.

Julie serre les épaules d’Amar assis par terre. Elle a cessé de parler maintenant. Elle se contente d’offrir ses mains amicales à son corps douloureux. Elle le regarde, intensément. Elle voudrait boire comme un buvard toute la souffrance de sa cheville. Pas seulement celle de sa cheville. Elle le regarde aussi puissamment qu’elle l’aime. Julie est celle dont l’amour fait s’imprimer en elle les blessures des autres.

Et son silence se fait lucide, soudain. Amar a la cheville énorme, il a froid, mais les traits de son visage n’ont pas bougé, pas tremblé jusque là. Ses cheveux sont toujours impeccablement mis, son profil a la forme pure de la perfection. Ses yeux sont clairs. Ses lèvres dessinées comme par une main de maître. Le menton net. La blondeur virile. Julie se dit qu’il a la beauté de l’absence. Il n’habite pas son corps. Il cultive cette image pour qu’elle prenne la place de son âme. Quand il rit, ses éclats sont musicaux. Quand il parle, les mots sont choisis. Quand il bouge, parfois, il se contrôle tant qu’il semble mu par un mécanisme. Ce qui le sauve du vide, c’est son cœur tout tourné vers les autres, inquiet toujours, et poreux. Etrange jeune homme que ses amis ont très rarement vu abandonné à l’émotion. Il cache sous cette apparence lisse comme celle des statues, une palpitation très tendre, très singulière. Elle se fait parfois si discrète qu’on peut se demander s’il l’entend, s’il sent ce battement vital. Quand on a retrouvé le corps de son père, dans un bois, il a seulement dit « Ah, d’accord ». Julie, qui l’a pris immédiatement dans ses bras, a deviné l’abîme qui s’est ouvert sous la surface. Mais il n’y a rien eu d’autre ensuite. Les rires petit à petit ont repris leur espace.

Et maintenant, dans ce tête-à-tête des yeux, Julie s’affole. La ligne parfaite du menton d’Amar vacille. Les coins de ses lèvres, très discrètement, se contractent vers le bas. Retour au cœur. Une larme. Une autre. Et brusquement c’est un fleuve entier qui lui passe dans les yeux. Plus rien ne l’arrête. Ni la joue de Julie posée au creux de son cou, ni  Claire qui tient à présent ses deux mains. Ni Pierre qui se tait mais qui reste à côté. Pleure, dit doucement Julie. Alors Amar pleure encore, avec des bruits de gorge qu’ont les enfants qui seuls savent se livrer entièrement à leur chagrin, le rendant intense et éphémère. Il devient boule ronde, et rien n’existe plus que sa peine venue de tous les mois passés à se tenir bien raide, raide comme le corps de son père au bout de la corde verte, dans le petit bois couvert de givre. Amar oublie le bitume et la Loire qui coule à côté, accompagnant, lente et stupéfaite, le larmier englouti qu’il rend au jour.

Quand le taxi arrive, Amar n’a pas bougé encore, tout ce qui vit en lui est occupé à pleurer. Enfin. Il sent qu’on le soulève mais il ne peut donner de sa force vitale et se laisse emmener par les bras qui l’aiment. Il est un nouveau-né à la souffrance. Enfin.

Le train l’emporte maintenant. Il n’a pas pu parlé encore. Sa cheville est bandée, pas son cœur. Un peu avant Paris, dans un souffle, Amar réclame  sa mère. Rien d’autre et pourtant l’exigence est aiguë. Là, tout de suite, sur sa joue, la main calleuse de sa mère qui le tiendrait comme un bébé. Il n’y a que cela qui puisse faire cesser la crue de son malheur. Elle est loin. Il pleurera longtemps. Ce n’est pas grave, il a toutes les larmes de sa vie en réserve.

L’art est un prétexte

Lune – Ch 4

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Lune – ch 3

Dans la cathédrale

Quand Lune arrive dans la cour du musée, Stéfane parle, dans sa langue qui est comme une ronce, s’agrippant violemment aux choses, aux êtres. Cela n’étonne pas la jeune fille, il parle au cèdre. Oh, bien sûr, il ne s’est pas assis comme elle le lui avait conseillé – il serait bien incapable de demeurer immobile – mais enfin il l’observe. Ses yeux vont rapidement d’une branche à l’autre, du pied vers le sommet. Son regard ne se pose nulle part. Son corps est en perpétuel mouvement, désordonné, insensé, sans autre but que lui-même. Lune est appuyée contre le porche blanc de la cour, elle ne bouge pas, elle le contemple. Elle voudrait fuir cet enfant fou mais elle ne peut pas. Il lui enserre déjà les jambes et ses épines sont irrémédiablement plantées dans sa chair.

Il n’a pas voulu rentrer dans le musée avec sa mère, c’est ce qu’il dit à l’arbre dont la sérénité s’empèse de fatigue. Les branches haubanées disent un peu de lassitude, Lune le voit seulement maintenant. Stéfane n’en a cure et le boxe de ses exclamations dont Lune ne pressent l’unité que dans la colère. De toute façon, le musée ça ne m’intéresse pas. C’est des croûtes qu’on dit qu’il y a sur les murs. Et ma mère, quand elle voit ma tata, c’est juste pour lui dire qu’elle en peut plus et que je suis difficile. Sauf que c’est moi la victime. Moi aussi j’en peux plus. Mais bientôt, j’aurai ma ferme et je serai bien tranquille. Toi, tu bouges pas, ça ne doit vraiment pas être marrant d’être un arbre. Sauf qu’on meurt moins vite. J’ai pas envie de mourir, moi. Enfin, j’aimerais bien essayer parce qu’on doit être bien calme quand on est mort. Attention, j’aimerais essayer que si on peut revenir après, quand on a bien vu ce que ça faisait. Je sais pas si ma mère pleurerait si j’étais mort. Je vais pas lui demander parce qu’elle va encore crier et moi ça me casse les oreilles les gens qui crient.

C’est le milieu de la journée et personne ne passe par la cour, ni pour sortir du musée, ni pour y entrer. Lune se tient parfaitement immobile encore. Ce qu’elle lit de fêlures dans cet enfant l’effraie. Seulement, alors que Stéfane s’aventure sur la pelouse interdite et s’apprête à ôter un premier morceau de l’écorce, elle bondit. Sa voix s’affole devant ce geste sacrilège. Mais il ne faut pas faire cela ! L’enfant  répond calmement tu es là toi. T’es pas ma mère, hein. Seulement il regagne les pavés et c’est tout ce qui compte, à cet instant, pour la jeune fille. Les mots épars du garçon, qui allaient vers le cèdre, vont maintenant vers elle. Pourquoi t’es venue ? Tu sais, c’est nul dans le musée. Ma mère y va tous les lundis depuis qu’on est arrivés ici. Elle dit que l’art lui fait du bien.

Je suis du quarante-deux moi, de la campagne, c’est pas la Loire comme ici, chez moi, c’est la Loire, le département, pas le grand fleuve qui a l’air tranquille ; chez moi, c’est « allez Saint Etienne » et les écharpes vertes parce qu’on est tous supporters de l’ASSE ; et il y a des tracteurs et des vaches dans les prés. Il n’y a pas de musée à La Gimond.  La Gimond, c’est le nom de mon ancien village. J’aurais bien voulu rester là-bas parce que je connaissais tout le monde et que je pouvais faire du vélo quand j’en avais envie. Mais ma mère voulait venir ici. C’est parce qu’il y a ma tata je crois. Et parce qu’elle veut plus voir mon père. Du coup on a laissé la maison et j’habite dans un appartement. J’aime pas trop, mais le fleuve, ça j’aime bien. Ma mère est maitresse. Elle veut que je fasse des devoirs de vacances avant d’entrer en sixième. Tu veux pas m’aider ? Parce que, comme ça, j’irai plus vite et j’aurai le droit d’aller dehors.

Lune profite d’un blanc pour dire doucement qu’elle veut bien l’aider, qu’elle doit d’abord en parler avec sa maman. Elle lui propose d’aller quand même regarder les tableaux à l’intérieur. L’enfant refuse. Tu comprends, ma mère, elle a pas trop envie que je rentre, comme ça, elle doit pas me dire tout le temps de me taire et de pas toucher, et elle peut se plaindre de moi à ma tata. Quand on repart, en général, elle est plus gentille. On y va quand même, dit l’orpheline. On passera seulement la prévenir que tu es avec moi. Je lui dirai mon nom pour qu’elle ne s’inquiète pas. Lune prend l’enfant par la main, il ne dit rien et monte les marches avec elle.

A l’intérieur, ils écument les pièces dont les murs tendus d’étoffes anciennes impressionnent beaucoup Stéfane. Il ne dit plus rien maintenant, scrute tous les détails surannés des grandes salles, la bouche ouverte, les membres secoués par quelques sursauts d’étonnement. Et alors qu’il s’absorbe à sa contemplation, la main toujours abandonnée dans celle de Lune, elle aperçoit la mère. Assise sur une banquette rouge au centre de la salle consacrée au vingtième siècle, à côté de sa sœur, elle ne regarde pas les tableaux. Elle porte un tailleur et un carré brun impeccablement lisse. Elle pleure. Lune comprend. Elle vient au musée pour pleurer, hurler à demi-mot son fils impossible, son mariage échoué. La jeune fille aux boucles brunes est très gênée de devoir la surprendre au milieu de ses larmes. Elle dit doucement qu’elle s’excuse de la déranger, qu’elle s’appelle Lune, qu’elle a croisé Stéfane et qu’elle propose de l’emmener voir la collection de peintures du dix-neuvième siècle, si elle veut bien, et qu’elle lui ramènera son fils dans cette salle-ci à midi trente, parce que le musée ferme à midi quarante-cinq. Si elle le souhaite, elle peut venir les retrouver, ils resteront dans la même salle.

Maman, t’inquiète pas, elle va pas me kidnapper. De toute façon, personne voudrait m’emmener, vu comme je suis pénible. T’inquiète pas. On y va ? Tu as dit que tu t’appelles Lune ? Elle devait être un peu anormale ta mère, pour te donner un nom pareil. Moi c’est beaucoup plus normal Stéfane. C’est juste que moi c’est avec un f. C’est mon père qui a voulu.

La mère interrompt son fils en ravalant un sanglot. Oui, vous pouvez y aller. Merci, mademoiselle, vous êtes très gentille. Vous pouvez le ramener ici s’il n’est pas sage. Je reste ici : j’aime beaucoup le bleu vibrant de ce tableau : il est mélancolique et pourtant lumineux. Il me fait du bien. Lune ne répond pas qu’elle a deviné qu’elle ne venait pas ici pour ce tableau presque uniforme, mais pour la banquette et l’épaule de sa sœur. Elle hoche seulement la tête et sourit en emmenant le petit météore vers le dix-neuvième siècle.

Elle pense à sa recherche d’emploi, à sa prochaine nuit. Elle s’occupera de tout cela après. Se joue quelque chose auquel elle ne veut pas échapper maintenant, et qui mérite qu’elle s’y livre. Les œuvres qu’elle regarde avec Stéfane ne lui plaisent pas vraiment. C’est très figuratif, très premier degré. Il y a un Christ en croix de Degas, c’est une étude, une copie. La touche de pinceau à déjà la douceur qui caractérise le peintre. L’enfant crie que c’est vraiment dégueulasse et pourquoi est-ce que l’on peint des gens morts et tout nus? Ils y a trois hommes crucifiés sur la toile. Seul le Christ, au centre, semble être mort serein. Il a l’air de dormir. Les autres ont les jambes qui se tordent. L’enfant fait remarquer que pour tenir le corps sur la croix, il a fallu planter des clous à travers les mains. Ce détail-là l’interpelle plus que le reste. Il hésite entre fascination et horreur.

Lune montre maintenant un petit format intitulé Paysage de Loire. C’est un peintre dont elle ignore tout – Edouard Debat-Ponsan – mais ce morceau de sable aux teintes ternes pourrait infuser l’enfant feu-follet d’un peu d’apaisement. Il regarde. Quelques secondes, au plus. Il dit si je savais dessiner, je voudrais bien faire comme lui. C’est comme si j’y étais, au bord de la Loire. Les couleurs, c’est pareil, et puis la tranquillité aussi. Il y a personne que j’ai l’air de déranger. Les herbes et le sable, c’est toujours content.

La jeune fille affirme qu’elle pourra aller avec lui au bord du fleuve. Mais peut-être pas cet après-midi, parce qu’elle a des choses importantes à faire. Stéfane ne voit pas ce qu’elle peut avoir à faire de plus important que d’aller voir la Loire avec lui. Elle répond avec pudeur qu’elle doit trouver une maison et un travail.

Alors qu’elle prononce ces paroles sur le ton le plus léger possible, la mère de l’enfant s’est approchée. Elle est frappée par le calme inhabituel de son fils, la gentillesse de la jeune brune. Elle est blessée aussi car, en creux, dans ce tête-à-tête serein, se dessinent ses insuffisances. Mais elle saisit ce qui lui semble être une bénédiction. Elle propose à Lune de l’engager comme fille au pair. Elle est seule, elle reprend le trente-et-un août et cherche quelqu’un pour aider son fils au quotidien, dans les devoirs d’école et le reste, afin qu’elle puisse se concentrer un peu sur son travail. Elle l’accueille dès ce soir, si elle veut bien.

Stéfane s’écrie qu’elle n’aura pas le droit de rentrer dans sa chambre, et Lune accepte. Justement il lui demandait tout à l’heure de l’aider à faire ses devoirs de vacances. La mère s’appelle Sylvie, elle tend la main à sa nouvelle employée. Derrière sa froideur polie, Lune sait à présent son désespoir. Ils gagnent tous les trois l’appartement de Stéfane et sa mère pour déjeuner. L’enfant a faim, et Lune est plus affamée encore.

Dans la cathédrale

Margot, Claire, Julie, Pierre et Amar – ch3

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Lune

Margot

Claire, Julie, Pierre et Amar

Lune – ch 2

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Lune – ch 3

Ils vont tous ensemble à travers la ville, de la place Plumeau – les habitants l’appellent la « place Plume » et Julie trouve que ce surnom invite au vagabondage –  à la cathédrale Saint Gatien. Des anciennes briques et des vieux colombages jusqu’aux vitraux à médaillon et aux grandes roses du transept. Couleurs violettes éclatantes. Margot n’a pas donné son livre mais a proposé de servir de guide aux quatre trentenaires. Pourquoi se cacher derrière ses livres, encore ? Pour une journée de solitude en plus ?

Quand elle parle, sa voix tremble et il faut tendre l’oreille pour bien la comprendre. Ses jeunes compagnons font l’effort. Elle raconte qu’à la place de la grande cathédrale, il y a eu deux autres édifices religieux avant, que le deuxième a brûlé au douzième siècle. Ce qu’elle invente, c’est la folle aventure de la reconstruction sur le champ de ruines. C’est l’homme qui a fait les vitraux, et comme il était malheureux d’amour et comme les vitraux furent son seul salut. Et s’ils sont si beaux c’est parce qu’ils ont germé au fond d’un cœur. D’un seul cœur et que c’est l’œuvre d’une vie, éclairée jusqu’au creux noir de la nuit par de longues bougies. Vraiment, on y croirait, dit Claire qui espère en secret que tout soit pour de vrai. Margot s’amuse à répéter que non, que c’est pure chimère, mais tant pis, cela fait si plaisir. Au moins, dit Claire en riant, pour une fois, je me souviendrai de ma visite commentée. Et même si tout est faux, je reverrai mieux les vitraux quand j’y repenserai. Elle ne sait exactement pourquoi, mais elle veut absolument se souvenir de ce magnifique édifice élevé sur les ruines d’un autre. Et quand Margot raconte, cette idée affleure comme une évidence : son gouffre intime n’est pas loin, mais Claire sent pour la première fois qu’il y a un chemin capable de le combler. La cathédrale est un indice. Margot guide son pas.

Pendant que la vieille dame poursuit ses contes, alors que le petit groupe traverse à nouveau la grande nef,  Julie se tourmente. Ce lieu tout élancé vers le haut lui ferait presque croire en ce Dieu dont elle réprouve l’idée. Cette sensation, née des piliers vertigineux, et des croisées d’ogive élevées vers le ciel, de la résonance particulière des moindres chuchotements, la révolte. Voilà la grande machination des Églises du monde : se jouer des hommes par l’artifice et la magnificence. Utiliser l’humaine nécessité de croire à une transcendance. Quelle bassesse ! Julie pense au vieil homme de l’histoire de Margot ; C’est une belle histoire car l’homme a donné les vitraux, et les vitraux ont sauvé l’homme de son bain glacé de malheur. Mais en dehors des contes, franchement, combien d’hommes et de femmes, à compter du douzième siècle, ont donné le peu qu’ils avaient, leur maigre pécule, mangé un peu moins le soir, trimé un peu plus le jour, dormi le ventre plus creux et le dos plus courbé la nuit, pour que s’élève en cette place la grandiose « maison de Dieu » ? Et pourquoi ? Pour la croyance aveugle que leurs âmes seraient sauves, que leurs misères terrestres prendraient fin dans l’au-delà ! Julie bouillonne. A voix basse, parce qu’elle est éduquée ainsi malgré son caractère farouche, elle expose sa colère à ses amis qui approuvent silencieusement mais qui, pourtant, sentent profondément l’envoûtement des lieux, et n’aiment pas imaginer qu’il eût pu ne pas exister. Julie devine leur fascination puisqu’elle l’éprouve aussi et sa rage redouble.

Elle est professeure de français. Elle a choisi son métier, mue par le sentiment du devoir : il fallait rendre aux jeunes gens leurs esprits clairs et libres. Leur donner les moyens de penser, de sentir, de dire non et de savoir à quoi on disait non. Elle a commencé sa carrière comme une boxeuse enthousiaste. Cela fait seulement sept ans qu’elle enseigne et elle est fatiguée parfois de boxer contre de l’air, puisque les élèves, eux, la plupart du temps, n’ont pas envie de dire non, ni de remettre en question l’ordre établi du monde, ni même de penser, ni même d’être libres. Leurs chaînes modernes leurs conviennent : elles sont confortables. Malgré sa fatigue, Julie boxe encore avec acharnement, toute seule, un vrai Matamore pathétique. Les élèves l’aiment bien mais la trouvent étrange. Elle a de ces colères, il faut dire ! Ils ne comprennent pas trop mais ils sont gentils, pour ne pas la contrarier davantage. Quelque uns, c’est rare, reçoivent vraiment les paroles de leur professeure, se mettent à élaborer, à sentir, et font de leurs lectures des armes sensibles pour lutter contre la médiocrité ambiante. Ils voient le monde avec des yeux neufs et c’est délicieux. Les emportements de Julie leur sont doux, éclairants. Son enthousiasme pour les textes qu’elle leur fait lire leur est transmis.

Pierre et Amar aiment Julie pour sa véhémence, sa colère et sa joie. Mais ils la trouvent un peu fatigante aussi. Dans la cathédrale, ils préféreraient le silence, ou juste les histoires de Margot.

Quand ils ressortent, le soleil chaud les surprend. L’odeur de bougie brûlée et la fraîcheur de la cathédrale leur avaient fait oublier l’été qui rend les façades plus éblouissantes qu’en d’autres saisons. En plissant les yeux, la main en visière, Pierre lit un panneau d’information et s’écrie que ce soir, juste en face du parvis, se tiendra un grand « DEB », c’est à dire un dîner où tout le monde vient habillé en blanc. Vaisselle blanche, tables blanches.

Margot serre les dents. Elle a horreur de ces événements auxquels elle ne trouve aucun sens. Cela ferait presque sectaire, ces centaines de personnes toutes de blanc vêtues ! Vraiment,  les gens ne savent plus comment frissonner.

Claire, qui a entendu tout à l’heure l’indignation de Julie, et qui est restée muette malgré son désaccord, murmure que, surtout, dans nos sociétés déchristianisées, on ne sait plus comment communier. Avoir le sentiment fort et profond du partage, et de l’appartenance à une communauté. Elle n’ose pas dire que la foi lui est moins étrangère qu’à Julie, qu’elle peut comprendre. Elle ne le dit pas car cette idée germée au fond du cœur est encore trop fragile, trop naissante, pour qu’elle puisse l’expliquer, la défendre, la placer dans un débat qui ne manquera pas d’être virulent. Elle se contente de dire qu’elle trouve cela chic, tout le monde en blanc. Elle propose même à ses amis d’y aller, ignorant le mépris de Margot. Ils veulent bien. C’est les vacances. Ils ont le temps et le désir de se frotter à l’inconnu, tant qu’il est doux et sans risque.

Pierre propose qu’ils prennent les vélos. Une balade le long de la Loire. Ils pourraient aller voir le château d’Azay-le-Rideau, et revenir. Il regarde le parcours : il faudrait partir maintenant, pédaler un peu vite, mais c’est jouable. Soixante kilomètres aller-retour. Ses trois amis se récrient qu’ils relèveront le défi, qu’il fait beau, et Julie plaisante sur les kilos qu’il faut faire fondre.

Margot leur dit qu’elle va rentrer. Elle n’a plus l’âge pour ces périples-là. Sa voix se brise sous le poids des regrets. Claire sent cela, bien sûr, puisqu’elle sent tout. Elle lui propose de la retrouver le lendemain, de prévoir quelque chose qu’elle pourra faire avec eux. Elle se rend compte que la présence de Margot lui fait du bien et n’a pas envie d’y renoncer. Elle veut entendre d’autres histoires et s’occuper d’elle encore, oublier le vide insupportable de son ventre en donnant ses sourires. Les garçons auraient voulu retrouver leur liberté et leur intimité, et Pierre n’a pas proposé la longue promenade en vélo par hasard. Julie l’a bien compris mais la douleur muette de son amie la transperce comme un poignard. Elle n’a jamais supporté que Claire souffre. Alors, d’autorité, elle note le rendez-vous dont elle sait qu’il aidera un peu celle qui pourrait être sa sœur. Ils se retrouveront sous le cèdre de la cour du musée.

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Son carnet se remplit. Liste sans cohérence, en toute harmonie.

Recherche tourneur-fraiseur. CDI. Expérience souhaitée.

Mère de trois enfants cherche une jeune fille pour faire la sortie des classes et aider aux devoirs.

Maison de retraite recrute une animatrice motivée et dynamique. BAFA exigé.

Cherchons serveuse à temps partiel, soirs et week-end.

Famille de quatre enfants cherche fille au pair, nourrie, logée.

Nous recrutons une vendeuse en boulangerie. Salaire à débattre.

Femme de soixante-dix ans cherche dame de compagnie. Aime la culture, le théâtre, le cinéma, la nature, la lecture. Appelez-moi.

Suivent bien sûr, à chaque fois, les numéros de téléphone. Lune s’amuse de tous ces chiffres griffonnés à la hâte et qui ont l’air de s’appliquer à créer du désordre sur la petite page. Elle aime les surgissements impromptus du chaos qui dort sous la surface bien ordonnée des choses. Elle scrute toutes les vitrines, les devantures des boulangeries et des agences d’intérim, et les portes des immeubles et tous les panneaux d’affichage. Elle marche, attendant qu’un signe lui soit fait. Cela fait maintenant trois jours qu’aucun son n’est sorti de sa gorge.

L’enfant comme un caillou tombé du ciel lui écrase brutalement les pieds, lui cogne les genoux. Plongée dans son carnet, marchant le long de la très minérale rue Nationale, elle n’a pas vu venir au devant d’elle le petit météore, comme né de la pierre, surgi des murs ou du trottoir. Elle ne pousse même pas un cri de surprise, sa bouche s’entrouvre mais s’en échappe seulement du silence. L’enfant ne s’excuse pas. Il la dévisage. Il doit avoir douze ans. Il lui dit qu’elle est mal coiffée et que son pantalon est troué, qu’elle a l’air bizarre. Il parle trop fort et se tient trop près. Lune recule d’un pas, il avance. Les questions se bousculent. Et puis, pourquoi ne parle-t-elle pas. Où tu vas. Tu écris quoi dans ton carnet. Moi je vais chercher de la terre au bord de la Loire parce que, tu comprends, mes parents ne me font pas de cadeaux à Noël – mais je m’en bats les steaks – mais ma grand-mère, elle m’a quand même acheté un microscope, alors je regarde dans la terre. J’aime bien la terre parce que c’est noir et mouillé. Ma mère déteste. Elle dit que je lui fais trop de lessives. Je veux être agriculteur. J’aurai ma ferme, comme mon père. Sauf que lui ça n’a pas marché, il est maçon maintenant. Je ne l’aime pas trop mon père, de toute façon.

Lune chavire. C’est trop d’un coup mais c’est peut-être ce qu’il lui faut. Le fameux signe. Elle se tait encore, elle ne bouge pas. Elle écoute le gamin. Elle le regarde : figure asymétrique, légèrement. Les cheveux presque roux, taillés en brosse, assez grossièrement. A la tondeuse, sans doute, parce que c’est pratique, rapide et que cela ne coûte pas cher. Les oreilles sont au vent, les tâches de rousseur étoilent son visage. Lune a du mal à le supporter, il lui marche encore sur les pieds, il est grossier et agressif. Monte cependant en elle le sentiment d’une adoption irrémédiable, qu’elle ne peut pas le laisser aller à sa vie. D’ailleurs, il ne la lâche pas. Le temps s’étire dans ce tête-à-tête qui est un monologue contre un regard muet. L’orpheline sent la beauté qui point sous l’ouragan. Enfant des origines, enfant né d’avant l’organisation lisse et nette du monde.

La mère attrape brutalement son fils par le tee-shirt. Mais pourquoi t’arrêtes-tu comme cela ? Je n’avais pas vu que tu ne me suivais plus ! Arrête d’embêter la dame. Pardon, je suis navrée. Vous savez, ce n’est pas facile avec lui. J’espère qu’il ne vous a pas fait mal ? Dis pardon, Stéfane. On va au musée, on a rendez-vous avec ta tante, on est en retard. Dépêche-toi.

Stéfane s’éloigne de mauvaise grâce, se retournant une dernière fois vers Lune, lançant un regard que d’autres diraient provocateur, et qu’elle reçoit comme un appel. Se surprenant elle-même, Lune retrouve sa voix pour lancer à l’enfant de bien regarder le grand cèdre, de s’assoir par terre, de le sentir, que c’est presque le plus grand d’Europe. Et ses yeux d’innocent où germe la folie lui disent viens. Alors elle suit ces deux êtres dont le lien par le ventre semble fabriquer leur souffrance. Elle suit de loin, car la mère lui fait peur. Elle va tout droit, tirant son fils. Elle semble furieuse de son indigne progéniture.

Mais il y a autre chose aussi, pense la toute jeune femme. Nous verrons sous le cèdre.

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Les quatre amis ont une semaine à eux. C’est leur première soirée, délicieuse car elle contient en germe les six autres, et parce qu’elle déborde de  l’euphorie des retrouvailles, sans l’amertume qui teinte les derniers instants du bonheur.  Ils sont venus boire un cocktail dans une guinguette au bord de la Loire, et ils rient encore aux éclats parce que Claire voulait une camomille. Sérieusement. Ce n’était pas pour rire et c’est cela qui était si drôle. Et l’expression du serveur qui n’arrivait pas à comprendre que ce n’était pas une blague. En plus, on ne sert pas de camomille ici. Il y a du bruit, et du monde, et le fleuve absorbe les éclats de voix, si bien que le brouhaha est vague, dissipé dans l’air devenu noir de nuit, au-delà des lampadaires de la ville et des guirlandes lumineuses des guinguettes campées là pour l’été.

Claire a trempé ses lèvres dans le cocktail alcoolisé parce qu’il était coloré et servi dans un joli verre, mais elle n’a pas l’habitude. La tête lui tourne, alors elle  sort avant ses amis pour respirer un peu la nuit. Toujours ce pincement à l’intérieur. Drôle de bonheur se dit-elle, un bonheur intense et les larmes qui ne sont jamais loin. Elle accepte une part de baba au rhum proposée par une vieille dame dont les yeux la bouleversent. Elle, l’empathique, elle qui ne peut pas s’empêcher de porter les douleurs des autres. Elle s’était juré de s’occuper un peu plus d’elle, un peu moins des autres. Pourtant, elle s’assoit, elle parle, elle sourit, elle tient compagnie à cette dame trop seule qui distribue son gâteau aux passants. Claire trouve tout de suite que la dame est gentille et qu’elle mérite son attention. Elle l’aide à se sentir plus belle et captivante. Comme toujours. Elle donne ses paroles qui soignent et oublie sa propre blessure.

Quand Amar est sorti avec Pierre devant lui et Julie accrochée à son bras, il a tout de suite vu Claire qui leur demandait de la rejoindre. Il a reconnu de loin la dame à côté d’elle, la dame au drôle de regard qu’il a fui tout à l’heure. Il s’est fait violence pour s’approcher quand même. Maintenant que tout le monde bavarde et déguste le baba au rhum, ça va, il supporte. Et quand il entend l’inconnue parler de sa vie perdue dans la contemplation solitaire, quand il l’écoute regretter de n’avoir pas entretenu le faisceau de relations qui viennent presque toutes seules avec l’enfance, et que l’on renforce ou que l’on détruit en grandissant, quand il comprend qu’à présent, et même si elle ne sait comment s’y prendre, elle veut vivre, son cœur se tranquillise. Il sait ce que c’est quand les regrets et la colère contre soi-même labourent le cœur si complètement qu’il ne reste plus assez d’air à l’intérieur du corps. Il est orphelin, justement à cause de la rage sourde dont on ne se libère pas, même avec les mots. Il ne veut plus jamais la côtoyer de près, ni la croiser dans les yeux de quiconque. Il veut du bonheur et ses amis. Eloignez-vous, malheureux prisonniers de vous-mêmes. Mais la vieille a quelque chose en elle qui la sauvera, c’est ce qu’il pense en l’écoutant, et puis Claire soigne tout avec son sourire et sa sollicitude. D’ailleurs quand l’inconnue propose qu’ils passent chez elle le lendemain pour qu’elle leur donne un guide de la ville, un guide qu’elle a écrit elle-même, dit-elle, avec des histoires inventées derrière tous les détails trouvés au coin des rues, c’est lui qui accepte en premier, plus curieux et plus enthousiaste encore que les autres.

Julie aussi est heureuse de cette rencontre. Julie aime le hasard et tout ce qu’on invente. Elle a toujours un pied du côté des rêves, et l’autre bien ficelé à l’exigeante réalité. Elle demande son adresse à Margot et la note sur le plan qu’elle a pris à l’office du tourisme. Et elle dessine une fleur sur le point précis que lui a montré Margot. Claire se moque de cet enfantillage inutile – une croix suffisait – et cela lui fait plaisir. Elle sourit à son amie. C’est si rare d’être ensemble, de pouvoir dépenser le temps en paroles légères. Et leur futilité lui semble du velours.

En regagnant l’hôtel où ils logent tous les quatre pour la nuit, elle pense à ses filles qui doivent dormir, à plusieurs centaines de kilomètres d’ici. L’espace de quelques secondes, cette distance lui semble intolérable. Quelque chose en elle réclame impérieusement l’odeur et le poids de leurs petits corps d’enfants. Rien d’autre ne compte à cet instant-là. Ni les vacances, ni son amitié, ni la douceur du val de Loire, ni la beauté de l’eau noire écaillée d’or. Elle ne dit rien, bien sûr. Comment dire ce genre de choses ?

Quand tout le monde est couché, que la grande chambre d’hôtel qu’ils partagent est plongée dans l’obscurité, que les dernières plaisanteries ont cessé, quand il n’entend plus que les respirations préparant le sommeil, Pierre demande à Julie de raconter une histoire. Une de celles qu’elle raconte à ses filles. Il aime que Julie raconte, il aime les grands silences qu’elle ménage et qui laissent le temps aux images de se propager à l’intérieur de lui. Quand le sommeil le prend, il est encore plein de cet enfant muet qui ne parle qu’aux oiseaux, du bout des doigts et du bout des yeux.

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Margot – ch 2

(Suite des articles Lune – ch 2, Claire, Julie, Pierre et Amar, Margot, et Lune )

Margot a acheté un baba au rhum et retrouvé sa maison. En fait, elle ne veut pas manger seule ce dessert tout rond, généreux et luisant. Mais inviter qui ? Et dans ce fourbi, on ne reçoit pas ! Ici, tout dort dans la grisaille depuis bien avant que ses cheveux ne blanchissent. Les vitres sales ne laissent plus passer ni l’éclat des journées, ni la profondeur des nuits. Elle ressort avec son  gâteau et  descend, à quelques centaines de mètres de chez elle, sur le quai qui borde la Loire, rendue plus calme et plus sauvage par plusieurs îlots et bancs de sable qui parsèment le milieu de son lit. Aux abords du pont qu’elle voit sur sa droite, un autre cèdre du Liban s’élève dans la nuit maintenant installée. C’est une majesté dressée comme une sentinelle veillant sur l’eau qui se défile sous ses yeux impassibles.

Margot a écrit plusieurs romans peuplés de ces géants nés dans un autre temps. Son imagination a flotté sur les années que portent les lourdes branches. Mais ce soir, c’est autre chose qui la frappe. C’est cette ombre immobile et le va-et-vient des hommes, et l’eau qui s’en va loin, qui ne fait que couler. La romancière s’assoit et soudain, elle sent la raideur de son corps. Entre mouvement et immobilité, elle a depuis toujours choisi son camp. Elle s’est fixée à sa table de travail et a regardé les hommes passer, elle a prolongé leurs mouvements en créant sous ses mots de formidables fuites et des tourbillons de personnages prisonniers de tempêtes, sans jamais quitter son bureau. De très courtes promenades ont toujours suffi à faire naître des romans complets. C’est vrai qu’elle voit dans chaque chose ce que les autres ne voient pas. C’est vrai qu’elle scrute le monde avec des yeux perçants. C’est vrai. Seulement, est-ce cela, vivre ? Se contenter de voir au-delà des visages, se contenter de voir sous la surface, sans bouger ?

Ce soir, Margot se refuse à deviner les histoires qui affleurent dans tout ce qu’elle regarde. Et le cèdre au bord du pont n’est qu’une ombre grandiose qui élève les hommes un peu au-delà d’eux-mêmes. Elle ouvre sa boite en carton, marquée de l’inscription « Le petit baba», avec l’adresse de la pâtisserie. Ce n’est pas celle dont elle a entendu parler mais les gâteaux dans leur rondeur lui ont fait trop envie. S’écouter, soi, au lieu de toujours sonder la profondeur de tout ce qui lui est étranger. Seule au bord du fleuve avec son gros baba au rhum, la romancière n’a pas tant envie de le manger que de le partager. Elle fait huit parts, et invite les passants à se servir. Presque tous la regardent, étonnés. Vieille folle, pensent-ils sans doute. Ils ne s’arrêtent pas et détournent les yeux. Certains semblent amusés de cette invitation incongrue mais ils ont rendez-vous, ou disent-ils, ils n’ont plus faim.

Seule une jeune femme s’arrête et prend une part en remerciant Margot. Elle s’assoit à côté d’elle pour la manger en sa compagnie et lui dit que le gâteau est délicieux. C’est même son dessert préféré et sa mère les fait bien aussi! Elle est simple, pleine de sollicitude et de questions, lui demande où elle vit, ce qu’elle fait. Elle commente la soirée et le beau temps. Elle s’assure que Margot n’a pas froid et qu’elle est bien assise. Elle la complimente aussi : vous avez les traits fins et c’est si gentil d’offrir du gâteau aux passants. Toutes ses paroles semblent faites pour envelopper Margot dans la chaleur. Margot l’écoute et la regarde, comme un miracle. Cette jeune femme blonde a-t-elle donc si bien senti sa solitude ? Et quelle générosité! Tout à coup, la voilà qui lève les bras et les agitent pour inviter ses amis qui sortent d’une petite guinguette éphémère, à la rejoindre.  Ils s’approchent, plus timidement peut-être, mais leurs bavardages habillent rapidement la nuit d’une robe de joie. Et Margot parle aussi ! Elle ne les regarde pas seulement, elle parle ! Elle raconte Tours et ses mystères sous la douceur, et même un peu sa vie, et même un peu ses erreurs dont elle vient d’avoir la révélation. Elle les exhorte à continuer de s’aimer. Elle se sent à la fois plus vieille que jamais et petite fille rêvant d’être adoptée, guidée par ces jeunes gens enthousiastes. Comment s’appellent-ils d’ailleurs ? Claire, c’est la blonde au grand sourire qui s’est assise auprès d’elle en premier. Et Julie qui parle beaucoup, et Pierre, ses regards disent la clarté de son âme, et Amar, dont elle sent la méfiance qui s’amenuise petit à petit.

(à suivre)

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Lune – ch 2

(suite des articles Lune, Margot, et Claire, Julie, Pierre et Amar)

C’est l’aube déjà et Lune se déplie et s’étire comme une fleur se défroisse à sa lente éclosion. Son corps est douloureux d’avoir reposé sur le banc trop dur. Tant pis. C’est un miracle que personne ne l’ait chassée, se dit la jeune fille aux boucles brunes. C’est un miracle que personne ne lui ait parlé non plus ! Son tête à tête nocturne et silencieux avec le grand cèdre est un cadeau qu’elle reçoit avec gratitude. Un peu de paix lui est rendue.

Lune ne sait pas vraiment ce qu’elle veut faire de ses lendemains mais les branches lourdes du cèdre pèsent du poids de la vérité simple. Elle désire à présent leur densité. Elle ne veut plus des frivolités d’avant la mort de sa mère.  C’est comme si sa mère s’était chargée, à sa place, d’être sincère et dense, simple et vivante. Elle, elle s’est contentée de papillonner d’un amant à l’autre, et d’amitiés éphémères en relations superficielles. Elle a aimé la faculté parce qu’elle aime la littérature, mais elle n’a pas tant travaillé que cela. Elle a fait la fête sans y croire. D’ailleurs, ce matin elle se rappelle de tous les instants de sa vie où elle n’a été qu’à demi présente. La part profonde d’elle-même se tenait à l’écart, un peu triste de se disperser dans ces sourires de pacotille. Elle s’est sentie friable comme une feuille morte mais elle oubliait tout, croyant parfois elle-même à son masque de joie légère. Elle a fait mine d’avoir ses dix-huit ans et de n’être pas plus lourde qu’une bulle de savon. C’était possible, tant que sa mère travaillait la terre pour manger et regardait intensément les pierres dans le soleil, et la pluie sur les vitres, et le chat en boule sur le bord d’une fenêtre, et la lumière de fin d’été qui contenait déjà tout septembre et l’or de l’automne. Elle vivait, elle vibrait, elle aimait. Et maintenant qu’elle a enfoui son secret dans l’inexorable silence de la mort, maintenant, Lune ne peut plus supporter de n’exister qu’en surface. Se contenter de sourire et de participer à la grande comédie de la jeunesse. A Lyon, elle a senti la nausée lui tordre les tripes et il a fallu partir.

Voilà Tours et merci le grand cèdre car elle se lève avec le jour, pleine d’un désir âpre et de douleurs du corps qui la remettent sur le chemin sincère de l’existence. Son refus d’hier s’est transformé en volonté d’autre chose, d’autrement. Seulement, par où s’y prendre ? Par où attrape-t-on le monde quand on en est sorti ? Par quelle porte y pénètre-t-on à nouveau ? Comment ne pas se fourvoyer dans les méandres de l’à demi ? Ce n’est pas donné d’habiter pleinement sa vie.

Lune entre dans la rue Jules Simon par le grand porche en tuffeau tandis que la ville baille en ouvrant les yeux. Elle a faim. C’est la première fois depuis longtemps. Heureusement, elle a les quelques économies de sa mère pour vivre quelques jours encore. Après, après… voilà à quoi il faudra penser aujourd’hui. C’est un problème simple, et cela lui convient. Un bon point de départ. La jeune fille se dit qu’elle va  d’abord manger un croissant chaud, puis scruter absolument toutes les vitrines et les moindres annonces écrites à la hâte sur des coins de papier, scotchées sur les comptoirs des commerces. Tout noter sur un carnet. Voir ce qui émergera de cette première enquête. Jouer avec l’harmonie secrète du hasard. Elle va découvrir la ville douce selon le monde étroit mais fourmillant des petites annonces.

(à suivre)

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Claire, Julie, Pierre et Amar

( suite des articles Lune, et Margot)

Pierre pédale plus vite que ses amis, mais il ralentit volontiers. Ce n’est pas gênant de devoir les attendre un peu. Ils sont quatre, quatre trentenaires au bord du monde, échappés pour une semaine de leurs vies trop remplies. Ils s’offrent, comme cadeau d’anniversaire, une parenthèse ou peuvent s’épanouir leur vieille amitié et les enfants qui dorment en eux, en-deça de leurs responsabilités. Pierre est heureux, mais en silence. Les rires de ses amis suffisent et répondent à son cœur. Depuis quinze années, être avec eux est la chose la plus simple qu’il connaisse.

Julie jacasse, comme toujours. Rien ne l’arrête et sa joie la pousse à tout commenter  en montrant du doigt comme une petite fille. En pédalant sur le bord de la Loire tranquille, elle oublie ses kilos en trop, ses enfants et son lot de fatigues. Cette semaine enchantée lui rend du souffle. En arrivant dans Tours, elle s’écrie qu’elle a passé les oraux du CAPES ici et elle emmène d’autorité ses amis devant le lycée où elle a été interrogée. Les autres suivent en se moquant gentiment de ce pèlerinage inutile. Julie adore entendre leurs plaisanteries amicales et rit de plus belle.

Claire a une épine dans le cœur que rien n’arrive à faire partir. Mais l’exubérance de son amie, le bruit des vélos et la présence sincère de Pierre et Amar sont comme une puissante pommade anesthésiante. Ca va bien, tant qu’ils rient ensemble. Elle redouble d’humour et d’énergie pour tromper la tristesse qui point. Le mouvement vers l’avant la sauve d’un gouffre qu’elle a du mal à identifier mais qu’elle sent sous ses pieds.  Pourtant lorsqu’ils passent devant le Musée des Beaux-Arts et le grand cèdre prisonnier de la cour en pierre blanche, Claire demande qu’on s’arrête. Ses amis lisent les informations sur un panneau et font des commentaires loufoques. Elle préfère se taire, pour une fois. L’arbre semble tendre ses branches vers sa joue, pour une caresse consolatrice. Comme si la nature savait ce qu’elle lui infligeait et tentait de s’en excuser.

Amar veut une glace. Une énorme glace, avec du chocolat fondu et beaucoup de chantilly. Il arrache ses amis à la contemplation du cèdre et les entraine vers les rues commerçantes. Amar veut dévorer du bonheur et rien d’autre. Il n’accepte plus que ses yeux puissent encore s’alourdir de larmes sourdes. Il n’a pas supporté le drôle de regard de la vieille femme qui s’est assise au pied de l’arbre. Ses pupilles semblaient contenir toutes les questions qu’il refuse de se poser, celles qui ont tué son père.

 

 

Margot

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(suite de l’article Lune)

Margot jette la plume. Il est temps de vivre maintenant. Saisir la matière et boire le bouillon chaud du monde. Cesser les mots et les yeux en l’air. Il faut vivre, cesser de penser et vivre. C’est terminé, elle n’écrira plus et tous ses personnages sont plantés là au milieu de nulle part. Tant pis pour eux. Ils sont incapables de réalité de toute façon, dépourvus de bras qui consolent et de l’odeur âcre de la sueur. Ils sont plats et mous comme des feuilles de brouillon : elle les déteste, soudain.

A moi la vie, se dit Margot en quittant sa table de travail. Elle se tourne pour regarder la pièce dans laquelle elle vit recluse depuis… oh elle ne pourrait dire. A-t-elle seulement vécu ailleurs ? C’est sale, pense-t-elle, et pas uniquement dans les coins. Les cartons s’entassent et les meubles ploient sous les caisses remplies d’un bric-à-brac qui lui semble  maintenant parfaitement étranger. Sa vie… est-ce vraiment cette pauvre pièce meublée sans élégance, encombrée, poussiéreuse ? Quelle misère ! Mais il est encore temps de réagir. Elle saura remettre de l’ordre, s’occuper des choses et laisser les mots. C’est le roman qu’elle était en train d’écrire qui, paradoxalement, lui a fait réaliser qu’écrire la séparait d’elle –même. La vieille dame a compris que, comme Nox, son personnage, elle ne savait rien d’autre que les mots qui naissent sous son crayon. Et rien d’autre ne lui a tenu compagnie. Personne ne l’a embrassée avec force, personne n’a plus eu, depuis sa mère, ce geste tendre de la paume sur sa joue, ce geste pour lequel l’humanité entière pourrait se mettre à genoux. Personne. Comme une longue épine, la solitude creuse un minuscule sillon dans ses entrailles douloureuses. Margot se tient le ventre. Depuis combien de temps n’a-t-elle plus aimé personne ?

La romancière poursuit son examen en traversant sa maison. Elle a l’impression de la voir pour la première fois. C’est un triste miroir. Des manuscrits et des livres reliés s’entassent dans les coins des pièces. De la vaisselle sale. Peu de lumière. Margot se voit à travers ce désordre comme une dame fanée qui s’est laissé empoussiérer par les années. Rien à voir avec la vigueur fictive de ses héros, leur désir de vivre et leur capacité d’action. Et leurs amours ! Elle a créé des fantômes en épuisant sa propre énergie vitale, elle n’est qu’un beau gâchis qui traine maintenant ses cheveux gris et son visage plissé vers une issue privée de sens.

Margot voudrait conjurer le temps perdu et la solitude. Elle rejoint le centre ville et ses terrasses pleines de gens vivants, se baigne dans les bruits humains, se laisse heurter, bousculer par les passants, sent la chaleur de la chair. Une heure de marche dans les rues claires, elle met ses sandales dans les flaques et du regard, elle désire maintenant que ces étrangers qu’elle croise lui livrent leur secret. Ils ont tellement l’air de tenir le monde dans leurs mains, ces quatre jeunes gens qui rient sur leurs vélos.

Dans la cour du Musée des Beaux-arts, la vieille femme se laisse surprendre par le cèdre gigantesque dont elle avait oublié les dimensions miraculeuses. Deux siècles d’humanité ont passé sur ses racines et sous ses branches. C’est lui qu’il faut prier de raconter le mystère d’une vie saisie dans sa plénitude. Margot s’assoit à son pied. Elle essaye de ne pas penser et de percevoir les vibrations salvatrices de l’arbre monter en elle. Être un corps, pour une fois !

En se relevant pour partir – elle veut acheter, avant la fermeture des boutiques, un dessert pour le soir dans la meilleure pâtisserie de la ville (non qu’elle y soit jamais allée mais les commentaires d’un passant ont réveillé sa gourmandise endormie) – elle aperçoit une très jeune femme couchée en chien de fusil sur un banc. Ses boucles brunes sont aussi négligées que ses cheveux gris à elle. Son cœur se serre à la constatation de ce lien silencieux entre celle qui semble presque une enfant et qui a devant elle une longue jeunesse pour renouer avec la vie, pour combler ses failles, et elle, vieille femme ayant usé ses  belles années à poursuivre des chimères. Elles ont les cheveux épars en partage. Leurs solitudes sont-elles faites de la même matière?  Margot glisse déjà vers les conjectures romanesques : ce serait un beau personnage, cette demoiselle recroquevillée sur son mystère, couvée par le grand cèdre. Alors, pour chasser le roman qui nait inexorablement en elle, l’auteure  sort de la cour pour rejoindre les rues que le soir d’été anime d’un surcroît de douceur.

(à suivre)

Lune

 

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L’odeur de la grosse pluie d’été, joyeuse et brutale, accueille Lune à la sortie de la gare. Cela sent la forêt traversée par l’orage. Pourtant, et c’est un mystère, elle est au cœur  de la ville blanche semée de vieilles briques. Le tuffeau a ce doux éclat qu’aucune autre pierre n’imite. Les toits d’ardoise scintillent sous le soleil ressuscité, encore humides. Voilà une ville toute propre, lavée de pluie. C’est parfait, pense Lune qui a jeté son passé sur les rails du train. Elle se veut  neuve comme la ville qui sent la forêt mouillée. Errance dans Tours la Douce.

Adieu à tout ce qui précède. Adieu la fac et ses copines de circonstance. Adieu Toma, et puis ceux d’avant lui aussi. Adieu la téquila des jeudis soirs. Adieu sa mère le cœur brisé. On l’a enfoncée dans un trou, sa mère – c’est une petite fille qui lui a dit cela après les funérailles et cela l’a brûlée comme le fait toujours la vérité. Béance insupportable du monde sans sa mère. Sa drôle de mère qui croyait en la bonté avant toute chose, aux énergies des âmes et aux cœurs purs. Qui faisait brûler de l’encens à en pleurer pour purifier l’air des mauvais regards. Qui vivait de rien, dans une cabane au bord de l’eau. Sa mère dont le creux de la main tenait sa joue d’enfant ensommeillée. Adieu sa mère. Lune doit laborieusement renaître à ce monde terrible, que l’odeur de patchouli brûlé ne sauvera plus de rien, ou mourir.

L’orpheline se glisse dans la ville claire, dans ces rues qui ne la connaissent pas. Elle se laisse se dissoudre, déambule vers le hasard qui ne l’attend pas. Rien ne l’attend. C’est ce qu’elle est venue chercher : du silence. Et qu’on la laisse aussi se taire. Elle a tout donné, les affaires de sa mère, et les siennes. Puis elle n’a plus voulu entendre personne. Taisez-vous, le monde. Laissez-moi au néant qui m’a conquise. Je l’épouse. Taisez-vous, amies jacassantes et laissons la vacuité de vos rires. Taisez-vous, professeurs encravatés à en vous en asphyxier, vous qui traduisez des textes du douzième siècle comme si vous sauviez la planète. Taisez-vous, vous tous qui me parlez d’avenir. Je n’en veux pas ! Je n’existe plus.

Lune a tout donné et pris un train. Toma a pleuré. Tant pis. Adieu.

Bonjour  Tours la Blanche et tes façades élégantes. Bonjour Tours, vierge de toute trace de ma vie.

Lune ne s’égare pas, puisqu’elle n’a pas d’autre but que de marcher en silence. Sentir la forêt dans la ville. Elle ne parlera à personne. Fermement. Elle ne veut pas donner au monde de raison pour venir jusqu’à elle. Attendre, invisible.

Des enfants jouent dans le square qu’elle traverse. Et quatre amis passent à vélo, juste devant elle, au passage piéton. Ils rient si fort que plus rien n’existe d’autre que leur joie. Elle se fond dans ces rires sonores, s’en nourrit un instant, puis s’engage sur les bandes blanches et noires. En face il y a un cèdre du Liban aux dimensions impensables. Il s’étale dans la cour pavée d’un musée. Planté en 1804, il pourrait faire croire à l’immortalité. Lune voudrait bien se mettre en boule, comme un petit animal, et se nicher dans l’une de ces grandes branches dont elle sent qu’elles seules connaissent son histoire. Mais elles savent se taire et seulement soigner  les plaies ouvertes à la force de leur majesté. La jeune femme se sent maintenant comme la fille des grands arbres de la terre – elle qui n’a jamais su qui était son père. Si on ne la chasse pas, elle dormira là ce soir. Elle se laissera bercer comme une enfant par le chant silencieux et bleuté de l’arbre prodigieux.

Une voix sans musique surgit à quelques mètres. Lune découvre une femme aux cheveux décolorés qui dépense sa colère dans son téléphone portable.

« Tu ne me retiens pas ? Ah oui ! Alors dégage sale … »

La rage d’être abandonnée quand elle voulait tester sa puissance fait déverser à la blonde inconnue une pluie d’insultes et de larmes. Elle serre trop sa cigarette qui s’écrase sous ses ongles vernis. Lune sent bien qu’il y a une monde entre les mots, les ongles, les cheveux, la robe trop moulante de cette femme et ses boucles emmêlées à elle, son vieux sac à dos et son jean élimé. Pourtant, au bord la fosse qui les sépare, elle voit que la vulgarité n’ôte rien à la douleur. Elle voudrait la prendre dans ses bras comme une petite fille, cette inconnue. Ne rien lui dire et lui caresser les cheveux, jusqu’à ce que tout disparaisse : la décoloration et la french manucure, la robe en nylon et les mots grossiers, qu’il ne reste que les larmes. Elles pourraient être sœurs alors, juste le temps des larmes. Mais la femme quitte la cour du musée et l’ombrage du cèdre en jurant.

Combien de temps faudra-t-il pour qu’elle soit à son tour abîmée par la ville ? Combien de temps faudra-t-il pour qu’elle pleure elle aussi de rage après la première trahison ? Lune interroge le temps qu’il lui reste avant que la réalité ne la prenne d’assaut à nouveau. Elle voudrait rester à la frontière de sa vie… Elle n’a plus l’air que d’une enfant maintenant qu’elle se recroqueville pour oublier qu’elle devra vivre, et nécessairement, pleurer encore, parler, aimer – ou peut-être qu’elle ne pourra plus. En attendant, elle veut dormir et ignorer que demain ne lui laissera pas le choix.

(A suivre)