Claire, Julie, Pierre et Amar

( suite des articles Lune, et Margot)

Pierre pédale plus vite que ses amis, mais il ralentit volontiers. Ce n’est pas gênant de devoir les attendre un peu. Ils sont quatre, quatre trentenaires au bord du monde, échappés pour une semaine de leurs vies trop remplies. Ils s’offrent, comme cadeau d’anniversaire, une parenthèse ou peuvent s’épanouir leur vieille amitié et les enfants qui dorment en eux, en-deça de leurs responsabilités. Pierre est heureux, mais en silence. Les rires de ses amis suffisent et répondent à son cœur. Depuis quinze années, être avec eux est la chose la plus simple qu’il connaisse.

Julie jacasse, comme toujours. Rien ne l’arrête et sa joie la pousse à tout commenter  en montrant du doigt comme une petite fille. En pédalant sur le bord de la Loire tranquille, elle oublie ses kilos en trop, ses enfants et son lot de fatigues. Cette semaine enchantée lui rend du souffle. En arrivant dans Tours, elle s’écrie qu’elle a passé les oraux du CAPES ici et elle emmène d’autorité ses amis devant le lycée où elle a été interrogée. Les autres suivent en se moquant gentiment de ce pèlerinage inutile. Julie adore entendre leurs plaisanteries amicales et rit de plus belle.

Claire a une épine dans le cœur que rien n’arrive à faire partir. Mais l’exubérance de son amie, le bruit des vélos et la présence sincère de Pierre et Amar sont comme une puissante pommade anesthésiante. Ca va bien, tant qu’ils rient ensemble. Elle redouble d’humour et d’énergie pour tromper la tristesse qui point. Le mouvement vers l’avant la sauve d’un gouffre qu’elle a du mal à identifier mais qu’elle sent sous ses pieds.  Pourtant lorsqu’ils passent devant le Musée des Beaux-Arts et le grand cèdre prisonnier de la cour en pierre blanche, Claire demande qu’on s’arrête. Ses amis lisent les informations sur un panneau et font des commentaires loufoques. Elle préfère se taire, pour une fois. L’arbre semble tendre ses branches vers sa joue, pour une caresse consolatrice. Comme si la nature savait ce qu’elle lui infligeait et tentait de s’en excuser.

Amar veut une glace. Une énorme glace, avec du chocolat fondu et beaucoup de chantilly. Il arrache ses amis à la contemplation du cèdre et les entraine vers les rues commerçantes. Amar veut dévorer du bonheur et rien d’autre. Il n’accepte plus que ses yeux puissent encore s’alourdir de larmes sourdes. Il n’a pas supporté le drôle de regard de la vieille femme qui s’est assise au pied de l’arbre. Ses pupilles semblaient contenir toutes les questions qu’il refuse de se poser, celles qui ont tué son père.

 

 

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